"Disintegration" a vingt ans, j’ai donc vingt ans de plus que lorsque je l’ai écouté pour la première fois - une tautologie aussi choquante à écrire qu'elle peut paraître anodine à lire. Ecrire sur The Cure n’a rien d’aisé. Cela revient pour moi à parler de choses extrêmement personnelles, de choses anciennes, à la fois marquantes et d'une banalité sans nom. Ecrire sur "Disintegration" est un exercice encore plus étrange, car il s’agit d’un des disques que j’ai le plus écoutés dans ma vie. On parle donc de plusieurs centaines d’écoutes, à tel point que je n’ai même plus vraiment besoin du son proprement dit pour en ressentir tel ou tel passage. Je ne me suis jamais prêté à l'exercice, mais j'aurais peut-être le même sentiment en écrivant sur une partie de mon corps. Les disques qui m’ont le plus marqué ne sont pas qu’une affaire de musique ; tout est histoire de contexte, de circonstances, de hasard d'une certaine manière - non que ce soit exceptionnel, il en va de même pour tout le monde, mais cette corrélation ne laisse jamais de me stupéfier. A quelques années près, peut-être aurais-je été totalement rétif à Cure ou Nirvana et aurais-je été bouleversé par Tokio Hotel et Avril Lavigne ?
Mon billet avance, et je m'aperçois que je n'ai fait jusqu'ici que tourner autour du pot. Ne m'en veux pas, lecteur, ce simple fait en dira probablement plus long que le reste sur la relation que j'entretiens avec ce disque - sauf à raconter un peu ma vie, mais je ne le ferai pas ici ni maintenant. Pas plus d'ailleurs que je ne décrirai par le menu la musique en elle-même : de nombreuses critiques le font déjà très bien. Ce qui m’intrigue, c’est la faculté qu’a encore "Disintegration" de me faire ressentir certaines choses. Pourquoi chaque écoute d’Untitled ou Plain Song me plonge-t-elle dans le même état de mélancolie hébétée, me prive-t-elle de ma volonté au point de me faire arrêter de marcher dans la rue ? Est-ce encore la force pure de la chanson ? Ou le poids des souvenirs que j’y attache ? Ou un savant mélange des deux ? Et d'abord pourquoi aurais-je envie d'écouter un disque capable de m'ôter toute volonté d'avancer ?
Il y a probablement là une grande part de nostalgie. J'ai parlé, plus haut, et sans exagération, de plusieurs centaines d'écoutes. Ils sont très peu nombreux, les disques que j'ai autant usés. Plus précisément, il y a bien longtemps que je n'écoute plus les disques autant qu'avant, que je ne m'en imprègne plus jusqu'à ce qu'ils déteignent sur mon quotidien. Si je cherchais à rationaliser les choses, je dirais que c'est simplement parce que j'ai moins de temps pour écouter de la musique, parce que j'ai plus de disques à écouter... Au-delà de l'aspect mathématique, je crois aussi que je n'ai plus la même faculté à m'enthousiasmer, la même opiniâtreté dans l'appropriation de la musique - une histoire d'âge, sans doute. Peut-être que je me plonge avec délice dans les eaux troubles de "Disintegration" parce que je les connais comme ma poche et qu'elle sont la preuve tangible de la réalité de ma jeunesse. Chaque écoute, en tout cas, me pose des questions auxquelles je n'ai pas de réponse probante mais finalement, si c'était aussi ça la force de "Disintegration" ? Un disque qui force à se poser des questions, ne proposant aucune réponse mais permettant de prendre le temps de se demander si tout cela a bien un sens.
"Disintegration", en fait un disque de déliquescence, de délitement plus que de désintégration, me parle toujours autant, parfois sans même que j'aie besoin de l'écouter. Je crois pouvoir écrire sans trop me tromper qu'il fait partie d'une poignée d'albums "générationnels", dans le sens où il a marqué durablement des auditeurs d'une même tranche d'âge, ceux dont l'adolescence a coïncidé peu ou prou avec la fin des années 80. Je ne sais pas si d'autres disques, actuellement, parviennent à jouer ce rôle, en tout cas je ne saurais pas bien les nommer ; j'ai suffisamment foi en la musique pour croire que c'est encore le cas, qu'il est encore possible de forger sa personnalité à l'aide de certains artistes. Merci de ne pas m'ôter cette illusion.
30 octobre 2009
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2 commentaires:
C'est un plaisir de lire ces beaux articles sur mon groupe préféré.
Tout est tellement bien dit ^^
Beau billet sur un disque qui m'est également très cher.
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