31 mars 2010

Un match, une chanson #10 - Portishead : Numb (PSG - Sochaux : 4-1)

La soirée aurait dû être formidable : le PSG, sans être étincelant, joue assez bien et, face à une opposition inexistante, se paie un score de gala. Au bout d'un quart d'heure, le score est déjà de 2-0, à aucun moment Sochaux ne donnera l'impression de pouvoir répondre quoi que ce soit face à la domination parisienne. Pourtant le Parc des Princes reste atone. L'ambiance est morose, plombée par la perspective du décès du supporter de Boulogne molesté lors de PSG - OM - décès qui ne sera déclaré que quelques jours plus tard mais que tous pressentent déjà comme imminent. Les virages ont déclaré un arrêt des chants ; on peut parler sans avoir besoin de hausser la voix et les joueurs entendent certainement toutes les invectives qui descendent des tribunes à leur égard.

Cette sensation inédite résume bien ce dont j'étais assez persuadé dès que j'ai commencé à suivre le club : un match de football vaut essentiellement pour l'alchimie entre un spectacle prenant place sur le terrain et une réaction du public. Cette alchimie peut prendre des formes insoupçonnées, des matches sans grand intérêt (y compris quelques défaites) pouvant devenir de très bons souvenirs du fait d'une grosse ambiance. Ce soir c'est l'inverse : ce qui aurait pu être une fête se révèle être un spectacle insipide.

Difficile dans ces conditions de trouver une chanson pour illustrer un tel paradoxe. On se rabattra ainsi sur un grand classique : Numb, de Portishead (tire de leur immortel premier album "Dummy"). Parce que ce titre, avec ses percussions heurtées qui s'écrasent face à une basse fantomatique et des accompagnements cotonneux, traduit mieux que nul autre cette sensation d'engourdissement, d'indifférence que le contexte tragique a jeté sur ce match.


Un match, une chanson #9 - Killing Joke : Requiem (PSG - OM : 0-3)

Requiem à plus d'un titre. D'abord et pour le plus léger pour ce fiasco sportif aux airs d'enterrement : toutes les craintes de l'avant-match (et si Ben Arfa devenait bon, et si les Marseillais, largement supérieurs sur le papier, marchaient littéralement sur les Parisiens, et si...) se révèlent fondées et Paris sombre, piétiné par un OM euphorique. Une étincelle d'espoir subsiste encore à la mi-temps, car si le PSG est déjà mené (0-1), l'équipe se démène et semble facilement pouvoir revenir au score. Au retour des vestiaires, les joueurs, apathiques, se font massacrer devant un Parc dégoûté...

Requiem, ensuite, pour les événements survenus autour du Parc, qui devaient se solder par la mort d'un supporter de Boulogne quelques semaines plus tard. Je n'avais pas réellement pris conscience de la gravité croissante des événements autour du club, et notamment des tensions croissantes entre groupes de personnes que j'hésiterais à qualifier de supporters. Un peu avant le match, nous avons vu passer en trombe ambulance et véhicules de police, sans doute pour gérer les conflits entre Auteuil et Boulogne. A ce moment cela semblait anecdotique. Je ne saurais pas me prononcer sur les culpabilités respectives des deux camps ; je crains fort que la stupidité ne soit amplement partagée. J'avoue ne pas encore bien comprendre comment tout cela est possible, ni (surtout) quel rapport cela peut avoir avec le foot. Aucun, je suppose.

Une interrogation, directement tirée du morceau de Killing Joke : "When will it start bothering you ?". Jusqu'à quand peut-on supporter une équipe alors que les déchaînements de connerie atteignent des niveaux, au sens propre, mortels ?


17 mars 2010

Un match, une chanson #8 - Beirut : The Penalty (PSG - Toulouse : 1-0)

Une seule leçon à retenir d'un tel match : lorsque le PSG mène, le Parc s'assagit (de façon relative). Malgré un match pénible, ennuyeux au possible et uniquement débloqué par un pénalty litigieux obtenu par Luyindula et transformé par Hoarau, malgré des chants peu amènes à l'encontre des actionnaires ou de l'encadrement du club, malgré de multiples protestations face au niveau de jeu globalement minable de l'équipe, malgré tous ces vents contraires, le PSG s'offre une petite victoire et le Parc une soirée presque paisible.

Evidemment, c'est pour son titre que j'ai retenu The Penalty de Beirut. Après tout, ce match hautement dispensable se résume à ce seul fait de jeu alors autant oublier cette morne plaine de plus d'une heure et demie et fréquenter un peu les sommets avec Zack Condon, même si c'est pour quelques minutes de bonheur à peine... The Penalty (issu de "The Flying Club Cup", le second album de Beirut), dont les paroles n'ont rien à voir avec le sport, se déguste par exemple très bien dans sa version "Blogothèque" (cf ci-dessous).

Un match, une chanson #7 - Kaiser Chiefs : I Predict A Riot (PSG - Lorient : 0-3)

J'ai laissé cette série de billets en jachère depuis plusieurs semaines (lire : mois). Pour tout dire il n'est pas aisé d'écrire sur le football et la musique - c'est peut-être facile pour Nick Hornby mais pour moi c'est encore loin d'être naturel. Qui plus est les très mauvais résultats de Paris et l'ambiance de plus en plus pesante autour du club ne m'ont pas aidé à poursuivre une démarche avant tout ludique. Pourtant, j'aimerais malgré tout revenir sur les 4 derniers matches du PSG au Parc des Princes. Je ne connais pas encore bien la tribune, l'historique des relations entre les différents groupes de supporters, mais rétrospectivement, tout était déjà bien lisible, comme en témoignent les seules phrases que j'avais notées à la hâte le 7 février, au lendemain de la déroute face à Lorient.

"L'électricité est palpable dans la tribune. Les visages, fermés, ne sont plus tournés vers le match mais bien vers la tribune elle-même, à l'affut de l'endroit d'où partira la prochaine volée de huées, la prochaine bordée d'injures, la plupart des gens se désintéressent du spectacle du terrain pour surveiller, de coups d'oeil fugaces mais révélateurs, les mouvements avoisinants. Des ballons de baudruche éclatent, les cloisons métalliques qui font office de séparation entre les tribunes résonnent sous les coups de latte."

J'avais retenu, pour son simple titre, I Predict A Riot des Kaiser Chiefs, une chanson que je n'apprécie pas réellement par ailleurs (après avoir un instant hésité avec Armand Est Mort, un vieux titre de MC Solaar qu'on aurait pu, avec un humour assez noir, dédier au défenseur parisien, nul et conspué face à Lorient). Les événements autour du match face à l'OM me donneraient raison quelques semaines plus tard.


12 mars 2010

Vinyle #8 - This Mortal Coil - Blood

Au moment où est paru cet album (en 1991), le label 4AD était depuis longtemps devenu mythique chez les fans de rock indépendant : une sorte de Blue Note de la pop éthérée (Cocteau Twins) ou du rock tordu (Pixies, Breeders, Throwing Muses). A l'époque, 4AD avait tout d'une dream-team pour fan de musique Lenoiresque. Il faut reconnaître à Ivo Watts-Russell (le créateur du label) un certain flair, une démarche originale et droite, une rigueur dans la poursuite de sa ligne artistique qui restent encore aujourd'hui exemplaires. This Mortal Coil, projet ambitieux qui ressemble fort à la poursuite monomaniaque d'un fantasme de passionné de musique, est la preuve évidente de toutes ces qualités. L'idée même du projet semble à la fois limpide et impensable : réunir des artistes pour un florilège de reprises et de compositions personnelles. Une sorte de No-Star Academy, en quelque sorte. Trois albums furent ainsi produits par ce faux groupe ; "Blood" est le dernier d'entre eux.

Patchwork de chansons douces reliées entre elles par de souvent splendides plages instrumentales contemplatives, "Blood" distille une indicible mélancolie ainsi qu'un sentiment d'apaisement euphorisant. Dès le premier morceau, le charme agit, posant les bases d'un schéma que l'on retrouvera à de nombreuses reprises au cours du disque : d'étranges nappes synthétiques viennent bercer l'oreille, avant de s'effacer pour laisser la place à un quatuor à cordes élégiaque. Les chansons choisies sont presque toutes aussi excellentes que méconnues, leur interprétation est systématiquement renversante. You And Your Sister, fredonné d'une voix douce par Kim Deal des Pixies, est le plus beau morceau qu'elle ait jamais chanté. Mr Somewhere, merveille tout droit venue du premier album des excellents Apartments, susurrée par Carolyn Crawley, garde toute sa simplicité et son charme presque naïf. I Come And Stand At Every Door, splendeur souveraine à l'imposante majesté, force l'admiration : le morceau s'ouvre sur un a capella à couper le souffle, puis un violon vient seconder la voix durant le deuxième couplet ; un rythme lent et minimal s'ajoute ensuite, avant qu'un nouvel écheveau de violons, de voix et de nappes synthétiques ne vienne compléter le fond musical pour un final passionnant. Et qui peut rester insensible à la douceur de Several Times, douce comptine à la mélodie enchanteresse, se concluant sur les notes évanescentes d'un piano incertain?

"Blood" recèle encore bien d'autres pépites (l'inquiet et étrange Late Night, le vaporeux Carolyn's Song), mais le plus beau finalement, c'est qu'en dépit du nombre des intervenants, ce disque dégage une véritable impression de cohérence. Tout coule de source et "Blood" se prête peut-être mieux que tout autre album à ces séances d'écoute songeuses, de celles que l'on s'offre les soirs de spleen, confortablement installé dans un fauteuil, l'esprit vagabondant au gré des vents soufflés par cette musique triste et belle.

Laura Veirs - July Flame

Une fois n'est pas coutume, parlons d'une simple chanson. Les 4 minutes les plus envoûtantes de ce début d'année sont signées Laura Veirs (un nom que je croise régulièrement depuis plusieurs années sans avoir eu jusqu'ici le courage de me pencher réellement sur sa musique). Je ne suis pas certain d'écrire un article entier sur le dernier album de Laura Veirs, "July Flame". C'est un bon disque mais je le trouve trop inégal, grevé par de trop nombreux titres dispensables. Mais la chanson titre, mâtin, cette chanson... Depuis que j'ai entendu July Flame (la chanson), et cela fait plusieurs semaines, je n'arrive pas à m'en défaire. Une accroche minimaliste sur quelques glissés de guitares, la voix mi-femme mi-enfant de Laura Veirs qui se cale d'abord très scolairement sur cette trame, puis le morceau prend son envol progressivement, au gré de l'arrivée de différents instruments, de différentes voix, pour finir en joyeux entrelacs de lignes mélodiques. A l'arrivée, près de 4 minutes de bonheur, à savourer sans modération aucune.

Je vous propose au passage d'en découvrir la vidéo artisanale et assez décalée, signée par Doug Savage, l'auteur des par ailleurs très pertinents Savage Chickens...


5 mars 2010

The Mountain Goats - The Life Of The World To Come

Voilà plusieurs semaines que je n'avais pas écrit sur un disque. Je dois avouer que j'ai passé beaucoup de temps, comme chaque année, à mettre à profit les milliers de classements publiés dans chaque recoin du web pour découvrir les nombreux albums que j'ai ratés en 2009. J'ai trouvé beaucoup de baudruches, beaucoup d'écoutes dispensables, mais heureusement quelques belle trouvailles, que je n'aurai pas le courage de toutes mentionner car la plupart ont déjà été louées maintes fois au sein de maints sites. J'aimerais cependant parler ici de l'album des Mountain Goats - et en préalable, je dois avouer que c'est le premier album de ce groupe que j'écoute, malgré la taille déjà imposante de leur discographie.

J'ai envie d'écrire que "The Life Of The World To Come" est un album honnête ; ironie lexicale, ce serait sous-entendre à peu près le contraire de ce que je ressens réellement. Un disque "honnête", c'est comme une personne "gentille" : sous le compliment apparent se cache en général un dédain à peine masqué. Or j'ai tout sauf envie de dédaigner "The Life Of The World To Come". Si je parle d'honnêteté, c'est parce qu'à aucun moment cette musique ne semble fabriquée, travestie, maquillée. Au contraire, les Mountain Goats portent haut les valeurs de ferveur, de simplicité, portés par une véritable foi en la musique (les titres des chansons, faisant tous référence à des passages de la Bible, attestent d'ailleurs de la place de la foi, sous toutes ses formes, dans cet album). Dès la première écoute, la profonde sincérité du disque s'impose, principalement véhiculée par la belle voix voilée de John Darnielle, et par les instrumentations, très acoustiques, sobres et parfois rudimentaires mais pourtant assez travaillées. Les quelques interventions du très à la mode Owen Pallett sur des arrangements de cordes se fondent remarquablement dans l'ensemble, apportant des enjolivures bienvenues sans pour autant phagocyter l'attention. Quant à l'écriture, elle tient remarquablement la rampe ; dans une veine très marquée par le folk, le songwriting de Darnielle est classique, sans volonté réelle d'innover, mais maîtrisé.

Serait-ce à dire que "The Life Of The World To Come" est un chef-d'oeuvre ? Certainement pas, mais sa simplicité, son honnêteté en font le disque le plus attachant que j'aie écouté ces dernières semaines. John Darnielle n'a certainement rien à faire de la hype, doit se foutre des modes comme de sa première corde cassée. "The Life Of The World To Come" est un album sur lequel rien n'est feint, dans lequel la cosmétique n'a pas droit de cité. Cette qualité devient, je m'en rends compte, une qualité qui me touche de plus en plus dans les disques que j'écoute. J'avais déjà écrit tout le bien que je pensais, pour des raisons similaires, de "The Meadowlands" de The Wrens.

Au-delà de leurs qualités intrinsèques, certains disques ne valent que par ce que l'auditeur en fait. Cet album des Mountain Goats appartient vraiment à cette veine de disques "contextuels". Pour qui souhaite rester en phase avec le rythme frénétique imposé par notre siècle, "The Life Of The World To Come" pourra paraître ennuyeux et fade. Pour qui estime au contraire avoir besoin de se mettre en retrait quelques temps, de se mettre hors circuit et de respirer, il sera en revanche un compagnon des plus précieux.

Pour vous en convaincre, je vous propose d'écouter le merveilleux 1 John 4:16

4 mars 2010

Fred Vargas - Dans Les Bois Eternels

Le polar s'accommode bien des séries ; tous les auteurs semblent prendre plaisir à créer un héros et le suivre sur plusieurs romans. De l'ancêtre Agatha Christie avec Poirot à la doyenne PD James avec Adam Dalgliesh en passant par la plus dispensable Elisabeth George (Linley) ou même Patricia Cornwell (Scarpetta), la récurrence des personnages est une figure imposée du policier. Ce qui m'étonne, c'est finalement que Fred Vargas, romancière en tous points exceptionnelle, ne fasse pas exception à la règle.

Fred Vargas, c'est le symbole d'une certaine excellence du roman policier à la française. On parle bien de roman policier et non de roman noir, soit de la résolution d'une énigme initialement posée plutôt que de l'exploration des méandres de l'âme humaine. Ce qui faisait la force et l'originalité de Vargas tenait selon moi à plusieurs éléments. D'abord une écriture légère, simple, élégante, empreinte d'un humour doux-amer des plus séduisants. Ensuite une capacité à créer un univers décalé, déroutant, délicatement onirique. Enfin une intelligence dans la construction : alors que dans un polar classique, l'énigme est posée dès la première page, dans un roman de Vargas, l'intrigue se construisait généralement à partir d'un dérèglement initial qui pouvait sembler anodin - en d'autres termes on passait une bonne partie du livre à se demander quelle était l'intrigue, une incertitude assez ludique et stimulante. On retrouve ces ingrédients ici, mais maniés avec moins de pertinence qu'à l'accoutumée.

J'ai été surpris de voir Vargas opter, au fil des romans, pour un personnage récurrent (le fantasque Adamsberg). Surpris car à la lecture de ces premiers romans où l'on croisait d'autres héros, j'avais eu l'impression qu'en recourant à un univers aussi excentrique elle devrait en rester à des figures à usage unique, sous peine de voir leur charme s'éventer.

Pour ma part, j'ai erré entre deux sentiments à la lecture de "Dans Les Bois Eternels". D'abord le plaisir de retrouver le style et la patte (tous deux indéniables et reconnaissables) de Fred Vargas dans un roman de qualité. Ensuite la déception et une pointe d'énervement à voir cet univers stagner totalement et même s'échouer sans grand succès sur les rives du réel.

Tant que Fred Vargas restait dans un univers mal défini, aux frontières du policier et du fantastique mais dans tous les cas hors des limites du quotidien, ses romans trouvaient leur place. Pour faire évoluer son microcosme, Vargas l'enrichit de nouveaux personnages, beaucoup plus nombreux que par le passé, et tente d'ancrer son action dans un univers plus consistant. Dans les deux cas, ce n'est pas forcément la meilleure solution. Ses personnages sont trop excentriques pour être réels et pour passionner dans la durée. Tant que l'on n'avait affaire qu'à un ou deux héros atteints de folie douce, on arrivait à y adhérer sans problème. Ici c'est tout une brigade qui semble marcher sur la tête, entre celui qui ne s'exprime qu'en vers, l'alcoolique au savoir encyclopédique, le débutant aux réparties stupides mais à la mémoire hors normes... Sans parler de l'ensemble des personnages croisés, tous plus barrés les uns que les autres. Ce qui se traduit au final par une progression assez décousue (on ne comprend que dalle à ce que font les personnages mais c'est normal parce qu'ils sont fous) et une succession de dialogues totalement invraisemblables...

Pour finir, "Dans Les Bois Eternels" reste un bon roman, grâce à l'écriture de Fred Vargas qui est toujours aussi alerte. Mais son charme ne tient plus qu'à cela. Les recettes et les ficelles de l'univers de Vargas deviennent avec le temps de plus en plus apparentes et systématiques...