24 septembre 2009

Vinyle #6 - Taxi Girl - Seppuku

"Je serai ta victime ce soir, mais je n'ai pas peur"... (Le Chant des Enfants Morts, sur "Seppuku" de Taxi Girl)

Robert Smith n'a pas été le seul à souffrir à l'orée des années 80, et "Pornography", le chef d'oeuvre de Cure, n'est peut-être que le membre le plus renommé d'une fratrie effrayante, anormale. Une cohorte de disques de l'ombre aussi choquants et marquants que le défilé des "Freaks" de Tod Browning... Daniel Darc, dont les derniers albums ont été à juste titre acclamés, vient de là, de ce caniveau où se mêlent toutes sortes de fluides et d'impuretés. Vingt-cinq ans après, ses démons semblent moins dévorants, mais si ses mots sonnent juste, si sa sincérité affleure à chaque intonation de sa voix, c'est parce que l'on sent distinctement à quel point il a pu descendre bas. Bas, "Seppuku" ? Indéniablement : il n'y a rien de noble ici, rien que du désespoir, de l'autodestruction, du dégoût de soi, dissimulés à grand-peine derrière une pochette travaillée signée Mondino, derrière une production de Jean-Jacques Burnel (des Stranglers). Mais même avec des paillettes et du rouge à lèvres, du fond de teint et une chouette robe de soirée à paillettes, "Seppuku" reste une junkie paumée, frissonnant en attendant sa dose d'euphorie chimique.

"Seppuku" commence pourtant étrangement, avec Les Armées de la Nuit dont l'intro se fait presque sautillante, jusqu'à ce que les mots de Darc viennent ravager cette première impression ("Nous marchions dans les rues, sans même un regard, nous étions les derniers, seuls jusqu’au matin") . L'acclimatation prend quelques minutes, comme en plongée il est nécessaire d'équilibrer la pression pour pouvoir descendre sans se détruire les tympans... Et c'est bien de profondeur dont il est question ici, au moins si l'on cherche à qualifier l'atmosphère qui se dégage du disque : sous ses dehors bien peignés, "Seppuku" est un album de bas-fonds, de gouttière, de parking souterrain. Il sera facile de railler ses atours new-wave, ce son froid et synthétique, ces voix blanche qui appellent à la caricature, ce sera d'autant plus facile que "Seppuku" n'est pas facile à aimer. Pourtant derrière ce son apparemment froid, vestige de l'époque, "Seppuku" est bien un disque désespérément humain, fait de chair et surtout de sang, ce sang dont Darc aspergea son public lors d'un concert devenu légende. La voix, blanche et maladive, de Daniel Darc, exhale tous ses états d'âme et ses excès de l'époque, et l'instrumentation, construite principalement autour d'ornementations de clavier synthétiques qui serpentent vicieusement autour d'un son blanc et crispé construit par la guitare et la basse, parvient à peine à maintenir l'illusion d'une structure et camoufle à peine l'effondrement psychique dont ce disque est le témoignage.

A la fois témoin de son époque et chronique intemporelle d'une descente aux enfers, "Seppuku" est un disque définitif, comme le geste de Viviane Vog qui "tranche ses veines" sur le titre du même nom... Peut-être ne l'aimeras-tu pas, lecteur, et je ne saurais t'en vouloir : après tout l'inconfort n'est pas une obligation.


PS : Pour parler de "Seppuku", comme pour l'écouter, le choix du vinyle est une quasi-nécessité... dictée par des impératifs pratiques, puisque les parcimonieuses rééditions CD sont introuvables ou presque.

23 septembre 2009

PSG - Lyon : 1-1

Espoir, doute, exaltation, frustration : en quelques heures, la rencontre entre le PSG et l'Olympique Lyonnais aura permis de vivre toutes les sensations qui font du football un spectacle d'une intensité incroyable. Avant le match, on espère le meilleur, tout en reconnaissant avec humilité que Lyon fait peur, que l'on craint le pire. Le pire aurait été que l'OL prenne les rênes de la rencontre, le contrôle du jeu pour un affrontement à l'issue certaine. Mais bon sang que cette équipe parisienne fut belle à voir. Si le début du match a été lyonnais, la révolte du PSG a été éclatante : engagement total, esprit combatif, l'équipe a développé un jeu vraiment enthousiasmant, beau à regarder - et tous les joueurs ont été bons. Tant et si bien que l'absence de ce couillon de Sessegnon, considéré comme l'unique dépositaire de l'animation parisienne, passe inaperçue. On regrette plus celle d'Erding, qui aurait certainement eu la possibilité de tuer le match alors qu'Hoarau, pas encore au niveau de l'année dernière, vendange plusieurs occasions. Le PSG aura ainsi mené pendant plusieurs dizaines de minutes, devant un Parc à l'ambiance surchauffée. Alors effectivement, le but de l'égalisation lyonnaise fait mal : même s'il a été concrétisé lors d'une grosse phase de domination pour les joueurs de l'OL, Gomis était purement et simplement hors-jeu. Au final, est-ce qu'il vaut mieux voir un superbe match malgré un résultat frustrant ? Ou bien se satisfaire d'une victoire étriquée, obtenue au cours d'un match pourri ? Je n'ai pas la réponse. Tout ce que je sais, c'est que le Parc a vu un superbe match. Paris aurait dû gagner, bordel !

15 septembre 2009

Taxi Girl - Aussi Belle Qu'une Balle

Ce bref billet en appellera bientôt un autre, plus long, au sujet de Taxi Girl. Mais j'avais envie de partager un bref instant de nostalgie, un voyage qui commence comme une bonne rigolade kitsch, une rigolade qui s'arrêterait net, comme on appuierait sur une gâchette... Quant on parle de musique des années 80, il est toujours difficile de faire comprendre ce qui peut différencier la purée préfabriquée de certaines vraies chansons. La limite est mince en vérité : Aussi Belle Qu'une Balle, avec son clip cheap montrant les trois musiciens jouer un playback plus qu'approximatif, avec ses synthés en avant, donne bien envie de grasseyer en ressortant quelque fameuse parodie des Inconnus. Le chant maniéré de Daniel Darc élargira les sourires entendus, mais prêtez attention aux paroles : une litanie basée sur un désespoir amoureux qui vire au morbide. "Et moi je n'attends qu'elle, oui mais autant vouloir se tuer" : voici que quelques gloussements se transforment en toux embarrassée. Voyez-vous la gravité de Daniel Darc, à travers ses oripeaux d'époque ? Comprenez-vous l'étrange subversion de cette chanson aussi chargée de bile qu'elle paraît sucrée de prime abord ?

Taxi Girl peut prêter à rire. Mais le quatuor (puis trio après la mort d'un de ses membres) n'a jamais versé dans la gaudriole. Retenez ceci : Taxi Girl vaut bien mieux qu'une caricature. Alors ce billet aura rempli son rôle.




6 septembre 2009

Vinyle #5 - Pink Floyd - Wish You Were Here

En parcourant d’une main distraite les étagères de ta tour à CD à la recherche d’un fond sonore décent, tes doigts se sont posés sur cet album, ce vieux truc que tu n’avais pas écouté depuis des années, "Wish You Were Here" de Pink Floyd. L’album idéal à écouter bien assis dans un fauteuil, pendant qu’on feuillette distraitement une BD ou une revue, t’es-tu dit – bon sang, es-tu déjà si vieux ?

Dès que les premières nappes synthétiques ont rempli l’espace de la pièce, tout est revenu. L’humiliation, ce putain d’éclair goguenard dans les yeux de la fille quand tu lui as expliqué que c’était un de tes albums préféré, cette moquerie muette dont tu n’avais pas saisi la cause – tu en avais en revanche parfaitement compris les implications : jamais tu n’arriverais à tes fins avec elle. Plus tard, lorsque, pas rancunière, elle te ferait découvrir le punk, Sex Pistols, Joy Division, Pixies, tu comprendrais à quel point tu t’étais gouré ce jour là.

Pink Floyd, c’est ces bajoues flasques, ballottant mollement autour des visages falots des trois vieux paumés sur une scène trop grande pour eux, le regard perdu dans la foule, au beau milieu de ces centaines de milliers de spectateurs assoupis ou assommés par trop de joints, ces trois ventripotents essayant désespérément de montrer qu’ils valent encore quelque chose, ex-rockstars en chemises de vieux, en pantalons de vieux, dégarnis comme des vieux mais essayant de jouer jeune, et cet espèce de désarroi sur leur visage, d’aveu d’échec muet pourtant palpable même à travers un écran de télévision.

Pink Floyd, c’est tes premières soirées au lycée, avec quelques amis, les premières bitures, les premiers joints, ces crépuscules interminables qui se prolongent en nuits blanches, les discussions qui deviennent de plus en plus ineptes et clairsemées lorsque l’alcool et le cannabis font leur effet, pour finalement n’aboutir qu’à de longues plages de silence, durant lesquelles tout le monde écoute la musique, ponctuant quelques morceaux de bravoure d’un hochement de tête approbateur, à défaut d’avoir encore la capacité d’articuler un commentaire intelligible.

Pink Floyd c’est ces ampoules au bout des doigts, les cordes métalliques de ta première guitare qui te meurtrissent la chair quand tu essaies d’imiter les bends improbables de David Gilmour (dans Guitar Part, tu as lu qu'il pouvait faire monter la note de deux tons et demi, toi, en y allant de toutes tes forces, tu as péniblement réussi à atteindre un ton, puis la corde a émis une note étrange et sèche en se brisant), c’est aussi ces heures passées à rembobiner ta cassette, à repasser, inlassablement, l’interminable intro de Shine On You Crazy Diamond, pour tenter d’en reproduire le solo, sous le regard bienveillant de tes parents qui préféraient t’entendre jouer la musique de leur jeunesse qu’aligner les accords saturés et strident d’une chanson punk. C'est encore les regards posés sur toi (admiratifs pour certains, goguenards pour quelques autres), ce soir de beuverie au coin d'un feu de bois, sur la plage de Saint-Georges de Didonne, lorsque tu as interprété Wish You Were Here, reproduisant même avec application le solo de l'introduction...

Près de dix ans après, tu es affalé sur ton fauteuil, et en y repensant, depuis quand n'avais-tu pas écouté ce disque? Trop de mauvais souvenirs, trop de choses que tu aimerais avoir oublié, et puis Pink Floyd, ça fait désordre pour quelqu'un qui aimerait se targuer d'avoir des goûts musicaux pointus... Pourtant, même si ça t'arrache la gueule de le reconnaître, cet album est plutôt bon. Excellent, même. Wish You Were Here, finalement c'est une superbe ballade, non? Ca écoeure moins que Hotel California, merde. Même Welcome To The Machine, avec sa pseudo-philosophie sous-jacente à la Orwell, ça s'écoute encore assez bien. Et Gilmour, quel guitariste, quand même... Pour un peu, tu ressortirais ta gratte, pour te dérouiller un peu les doigts, peut-être que tu n'as pas tout perdu... Alors tu réalises, alors que les dernières notes s'éteignent pour laisser place au silence, tu réalises que tu as beaucoup plus vieilli que ce disque que tu as essayé de détester pendant des années sans jamais réellement y parvenir. Cet échec que tu croyais lire dans les yeux des musiciens, ce sera bientôt le tien. C'est celui de tous ceux qui essaient de rattraper leur jeunesse. Mais les musiciens de Pink Floyd, eux, ont vraiment quelque chose à rattraper, pas seulement quelques souvenirs de drague minable ou de biture sordide. Tu ne fais pas vraiment le poids. Tu reposes prudemment le disque là où il était, puis tu sors prendre l'air quelques minutes...

1 septembre 2009

Eli Gottlieb - Ainsi Soit-Il

Après la fin tragique de son meilleur ami d'enfance, écrivain raté, un homme se penche sur son passé et déclenche une succession de révélations plus surprenantes les unes que les autres. Sur le papier, l'argument du roman d'Eli Gottlieb paraît prometteur. Déception à l'arrivée : le livre refermé, qu'en retiendra-t-on ? Pas grand-chose ; la faiblesse d'"Ainsi Soit-Il", c'est de paraître toujours courir après la justification de son existence. Drame psychologique ? Chronique d'un couple qui se délite ? Il se passe en permanence beaucoup de chose dans le roman, en tout cas il se passe beaucoup de choses dans l'esprit de son narrateur, mais sans que jamais une intrigue ne se dessine réellement. Le livre se referme avec l'impression paradoxale d'une lecture à grande vitesse, dans l'urgence, mais qui ne mène nulle part. Pourtant toutes ces péripéties ont bien un point de convergence, qui se précise fort logiquement à la conclusion du livre, mais entre le début en fanfare et cette fin volontairement renversante, tout semble s'enchaîner sans logique.

La faute aussi à des personnages trop schématiques, trop caricaturaux : le personnage de Rob Castor, poète maudit voué à l'échec, ne prend jamais l'ampleur qui devrait être la sienne compte tenu de la place centrale que son charisme est censé lui donner dans le petit monde qui gravite autour de lui. Quant au narrateur / héros, totalement insupportable dans son affectation intello-arty bien américaine, il catalyse tous les clichés du roman psychologique new-yorkais. Les romans de David Gates ("Jernigan", "Preston Falls") ont autrement plus d'élégance et de force dans la description de l'emprise du quotidien sur la vie d'un américain moyen, et du dérèglement progressif d'une existence huilée.

La pêche sera probablement meilleure la prochaine fois, en tout cas "Ainsi Soit-Il" s'oubliera bien vite.