25 juin 2010

On ferme.

J'ai pris la décision de cesser d'alimenter ce blog.

Cette décision ne fait que concrétiser un état de fait que j'ai tenté pendant plusieurs semaines de contredire. Qui trop embrasse mal étreint ; pour faire vivre un blog, il faut écrire souvent, le faire savoir aussi, deux tâches qui demandent un travail que je ne suis plus à même de fournir.

J'en tire quelques regrets car j'aimais bien pouvoir parler à ma guise de football, de musique, de livres. J'avais envie de vous entretenir de bien d'autres sujets, de vous faire partager d'autres engouements. Pour ceux que j'aurai le plaisir de croiser, cela se fera de vive voix. Ce qui n'est pas plus mal après tout.

A très bientôt et merci !

Tristan

24 mai 2010

Vinyle #10 - David Sylvian - Secrets Of The Beehive

Au sein de Japan, le dandy David Sylvian avait incarné le summum d'une vision élégante et sophistiquée de la pop synthétique ; au-delà du son très new-wave, le groupe, initialement d'obédience glam-rock, avait su ouvrir des perspectives insoupçonnées, vers le funk ou le jazz notamment. La singularité de Japan tenait beaucoup à la voix profonde et veloutée de Sylvian, à son chant classe et détaché. Après la séparation de Japan, la carrière solo de David Sylvian a connu des réussite très diverses, une poignée de très beaux disques en côtoyant d'autres beaucoup plus dispensables. "Secrets Of The Beehive", généralement considéré comme le meilleur album de l'Anglais, est un parfait condensé de rock intello tel que la discipline pouvait se pratiquer au cours des années 80. Parfait presque jusqu'au cliché : on reconnaît sur la pochette le design tordu et froid de Vaughan Oliver. Pour tout dire, il est même surprenant qu'un tel disque soit sorti sur Virgin et non 4AD.

Mélodies riches, volontiers complexes, portées par des arrangements très travaillés (cordes, piano, synthétiseurs, percussions), "Secrets Of The Beehive" est clairement le fruit de l'ambition d'un musicien qui a de son art une très haute idée. Cela pourrait s'avérer horriblement prétentieux mais David Sylvian réussit avec intelligence à éviter le piège en gardant une belle humilité et une sobriété qui ne sont pas sans rappeler les grandes heures du Mark Hollis de Talk Talk. L'ouverture vers le jazz, évidente, se fait alors d'abord par un travail hallucinant sur les textures sonores (comme sur Let The Happiness In, où les percussions répondent en douceur aux cuivres), puis par l'utilisation parcimonieuse de chaque instrument, rappelant les vertus de l'équilibre plutôt que de la surcharge. Les morceaux les plus dépouillés figurent parmi les plus réussis, comme The Devil's Own ou le splendide Maria, sur lequel la voix de Sylvian, nimbée d'écho et de nappes synthétiques diaphanes, arrache des frissons.

Déjà impressionnant dans sa première moitié, l'album prouve toute sa force au cours d'une seconde face de très haute volée. Les compositions y sont plus équilibrées (plus accessibles de prime abord sans pour autant perdre l'articulation jazz qui en fait toute la profondeur). La pièce maîtresse de l'album, When Poets Dreamed Of Angels, est une des moins riches en arrangements synthétiques : elle offre en contrepartie des parties de guitares acoustiques renversantes, dressant une trame entre flamenco et harmoniques, secondées par des castagnettes qui ajoutent leur part de dépaysement. Mother And Child offre un beau morceau jazzy qui commence comme une rêverie trouble et s'achève en improvisation de piano ; la voix de Sylvian, parfaitement complétée par une basse rêveuse, y est encore terrassante de beauté. Waterfront, probablement la composition la plus simple et directe du disque, bouleverse grâce à l'irruption de cordes qui portent le chant vers de nouveaux sommets tandis que Forbidden Colours, co-écrit avec Ryuichi Sakamoto, maintient l'intensité pour un final beau à pleurer.

"Secrets Of The Beehive" est de bout en bout sophistiqué, presque glacé si on l'écoute d'une oreille distraite ; pourtant sous des dehors austères et hautains, cette musique vibre, vit, palpite. Au-delà de l'ambition, de l'approche cérébrale d'une musique très pensée, Sylvian propose une oeuvre accessible au commun des mortels, pouvant aussi bien donner la chair de poule que s'adresser à l'intellect : un remarquable travail d'équilibriste. Je ne saurais trop recommander toutefois l'écoute de cet album sur vinyle, de crainte que la froideur numérique n'ôte à cette musique splendide les vibrations qui lui permettent de représenter bien plus qu'un superbe travail de production : un disque d'introspection, de voyage intérieur, une oeuvre à part.

13 mai 2010

Pavement au Zénith - 7 mai 2010

"Stephen Malkmus, le Georges Abitbol du rock"...

Lorsque j'avais interviewé Stephen Malkmus, il y a un peu plus de deux ans, je ne l'avais pas vu croiser les doigts lorsqu'il m'avait affirmé qu'il n'y aurait pas de reformation de Pavement. Quelques mois après, les choses ont visiblement changé et voici que ces huit lettres mythiques viennent allonger la longue liste des réunions de groupes mythiques depuis longtemps disparus... Pavement est en tournée et comme avec les Pixies et My Bloody Valentine, me voilà pris entre deux sentiments : l'impression qu'il n'y a rien de plus derrière tout cela qu'une bonne poignée de dollars d'une part, d'autre part la certitude que si je passe à côté de ces concerts j'en nourrirai de sérieux regrets, même s'il faut pour cela s'aventurer une fois de plus dans cette horreur acoustique qu'est le Zénith...

Rares sont les premières parties qui trouvent grâce aux yeux du public. Ce soir la donne est différente car Pavement se fait accompagner d'une pointure : The National, quelques jours avant la parution de leur nouvel album "High Violet". Malheureusement, j'arrive au Zénith avec du retard et le set des Américains est déjà bien entamé. Matt Berninger, la silhouette épaissie, le visage un peu bouffi, a visiblement pris un coup de vieux et sa voix semble fatiguée sur cette fin de concert. En revanche, le groupe est toujours aussi merveilleusement en place. Je regrette de n'avoir assisté qu'aux derniers morceaux car ceux que j'ai pu voir (pour "High Violet", Terrible Love ou le fabuleux England) m'ont tout simplement laissé pantois. Ce groupe est grand et pendant l'entracte, je me demande si l'on dira dans quelques jours que l'on a vu The National en première partie de Pavement ou Pavement en seconde partie de The National...

Pavement entre en scène et ces simples silhouettes incertaines se mouvant dans la pénombre déclenchent en quelques secondes un torrent d'émotions contradictoires, de l'incrédulité - Pavement, bon sang ! - à l'appréhension - à quoi ce concert va-t-il ressembler ? Un magma de guitares informes résonne et l'on sent distinctement un petit temps de latence dans l'audience interloquée. Lorsque le tout prend consistance et que l'on reconnaît l'intro de Silence Kid, les premières acclamations enthousiastes se font entendre. Nous sommes de nouveau jeunes, "Crooked Rain Crooked Rain" vient de sortir, la machine à remonter le temps fonctionne à plein régime. En étant indulgent, je pourrais écrire que rien que pour cela, ce concert valait la peine : on n'a pas encore entendu une seule chanson mais l'allégresse douce-amère qui me submerge pourrait presque m'arracher quelques larmes. Le début du concert ne lève cependant pas toutes les inquiétudes, Pavement a visiblement du mal à se mettre en place, la voix de Malkmus est inaudible - pourtant les titres choisis dessinent déjà une setlist incroyable et exigeante.

Petit à petit (notamment à partir d'une version furieuse de Two States), le show se met en place. Stephen Malkmus fait son Malkmus. Le Georges Abitbol du rock, l'homme le plus classe du monde indie, prend quelques poses de rock star ironique, toujours décalé, montre même quelques signes de lassitude sans que l'on puisse déterminer avec certitude s'il méprise réellement le public ou bien s'il joue gentiment avec lui. Malgré l'acoustique déplorable du Zénith, le son demeure acceptable quoiqu'évidemment bien trop fort et le groupe joue de plus en plus juste au fil des morceaux. La prestation est très carrée, ce qui se révèle presque dérangeant pour un groupe comme Pavement dont la nature profonde est d'être bancal. Range Life, notamment, souffre d'un traitement rock couillu qui dénature cette pépite country débraillée.

La setlist est très orientée sur les premiers albums, plus de la moitié des titres joués ce soir provenant de "Slanted And Enchanted" ou "Crooked Rain Crooked Rain". Le public réagit d'ailleurs avec beaucoup d'enthousiasme sur certains morceaux qui sortent clairement des sentiers battus. "Terror Twilight" n'est abordé que le temps d'un Spit On A Stranger tièdement accueilli. Le choix de terminer le concert sur une version enflammée de Conduit For Sale ! en dit d'ailleurs long et montre bien qu'on était d'abord ici pour voyager dans le temps. "Back in 92", nous hurle à plusieurs reprises un Bob Nastanovich aux cris omniprésents (et parfois hors sujet).

Je finis le concert en remuant la tête avec enthousiasme et émotion lorsque les grands titres sont joués, notamment lors d'un enchaînement Stop Breathin / Cut Your Hair merveilleux. Evidemment, le plaisir se heurte aux limites de l'exercice, qui n'est rien d'autre qu'une révision de vieilles chansons sans que rien de neuf ne soit apporté. C'est une soirée au musée de l'indie-rock que l'on a pu effectuer. Il est clairement inutile de se bercer d'illusions quant aux raisons de la reformation de Pavement. Bien sûr on peut toujours cracher dans la soupe et railler ce public en grande partie composé de trentenaires à la chevelure de moins en moins fournie, à la bedaine naissante mal dissimulée sous un T-Shirt de circonstance. Toutefois je ne peux m'empêcher de trouver réjouissant d'entendre des centaines de personnes reprendre en choeur le refrain de Here ou de Trigger Cut. A l'heure du retour de Dorothée et d'une véritable mode régressive sur fond de soirées Casimir, ces instants ont quelque chose de rassurant. La nostalgie n'a pas forcément un goût de beurre rance.

9 mai 2010

Un match, une chanson #11 - New Order : Regret (PSG - Bordeaux : 3-1)

Une soirée de gala dans un océan de ratages, de matches anonymes, d'attitudes insupportables. Ce soir là, contre Bordeaux, champion de France en titre, le PSG a joué, a montré de l'allant. Pour la première fois depuis de longs mois, et au-delà de l'issue de l'affrontement, le jeu a été beau, animé, dynamique.

Le résultat, pour favorable qu'il soit, est probablement autant le reflet de la méforme girondine que de la qualité de jeu parisienne - on dira évidemment merci à Ramé pour son carton rouge qui facilite évidemment les choses. Les réserves peuvent être nombreuses sur une telle victoire. Qu'importe : ce soir, on s'est offert le champion en titre et après tout, si les événements ont joué en notre faveur, cela rattrape les nombreuses fois où l'inverse a pu se produire.

Malgré l'absence notable de participation d'Auteuil, l'ambiance est belle. Au fil du match, une douce euphorie grise la tribune, au point que les capos s'enflamment et improvisent de nouvelles paroles sur le chant classique "supporter du Paris-Saint-Germain" : "On veut une bière, une bière bien fraîche"...

Avec le retour des beaux jours qui s'approche peu à peu, voir l'équipe jouer, s'impliquer et l'emporter est un vrai plaisir. On se prend alors à imaginer ce qu'aurait pu être cette saison si l'attitude de l'équipe avait été plus conquérante sur la durée, si les conflits entre les tribunes n'avaient pas dégénéré jusqu'au drame, si... si... Et le sentiment qui domine est alors celui, assez amer, d'une occasion manquée. Le goût du regret.

Regret, justement : l'album "Republic" marque clairement le déclin de New Order. Si l'album est franchement médiocre, le single tire plutôt bien son épingle du jeu...


2 mai 2010

Pavement - Crooked Rain, Crooked Rain

"Crooked Rain, Crooked Rain" ou l'album qui a rendu Pavement magique. "Slanted And Enchanted" aurait pu, après tout, n'être qu'une merveilleuse coïncidence ; l'histoire du rock est pavée des noms de groupes dont le talent s'est tari après un formidable premier jet... Pavement, au contraire, a su imposer son style avec panache, l’affirmer, l’affiner sur un disque unique, de ceux qui définissent un genre à eux seuls.

Le défi était de taille : avec son premier album, Pavement, groupe sorti de nulle part, avait cueilli tout le monde par surprise. Quelques mois après, alors que l'aura de "Slanted And Enchanted" continuait à grandir, les attentes se faisaient pressantes autour de la nouvelle coqueluche slacker. Est-ce sciemment que Malkmus et son groupe ont construit la seconde pièce maîtresse de leur discographie ou bien faut-il y voir l'effet du hasard ? On ne le saura probablement jamais, mais tous les choix révèlent une perspicacité redoutable. "Slanted" avait séduit par un son amateur et débraillé ? "Crooked Rain" proposerait un son beaucoup plus travaillé tout en conservant une superbe (fausse) nonchalance dans l'interprétation. "Slanted" avait su revisiter toutes les facettes du punk et du rock indépendant des années 80 ? "Crooked Rain" poursuivrait cette démarche en se permettant qui plus est d'aller fouiner du côté du blues, de la country ou du psychédélisme. "Slanted" avait su mélanger morceaux accessibles et titres à la construction plus audacieuse ? "Crooked Rain" irait encore plus loin en proposant une collection insensée de titres aux structures atypiques et ambitieuses et pourtant d'une évidence limpide.

"Crooked Rain, Crooked Rain" est aussi l’album sur lequel Stephen Malkmus impose la classe de son écriture à la face du monde. On aurait voulu ne voir en lui que le parangon ultime des slackers, il prouve avec ce second album qu'il est d'abord et avant tout un songwriter au talent inouï. De Silence Kid à Gold Soundz en passant par l’immortel Range Life, Malkmus aligne une rangée de chansons pop éternelles. Il n’y a pas de mystère : si le refrain de Cut Your Hair est toujours aussi galvanisant près de vingt ans après, ce n’est pas par le seul effet de la nostalgie, c'est tout simplement parce que cet enthousiasme un brin naïf est porté par une mélodie en acier trempé.

5-4=Unity et surtout l’exceptionnel final de Stop Breathin – une succession d’arpèges de guitare dont la beauté, entre évidence et excentricité, coupe littéralement le souffle – ouvrent aussi des voies insoupçonnées : soudain, Pavement devenait bien plus qu'un groupe indé talentueux et se muait en véritable laboratoire musical, un laboratoire tenu par des savants fous se livrant à quelques vivisections sauvages avec un large sourire. Un peu avant l’avènement de Beck, qui porterait le téléscopage des genres encore plus loin, jusqu’au concassage, Pavement débarrassait le rock de ses œillères, ouvrait des portes inattendues, inespérées, au sens propre inouïes, pour un disque en feu d’artifice.

Elégamment bancal, décalé mais toujours pertinent, le second album de Pavement fait bien mieux que résister aux années qui passent. Ce disque appartient à la caste très rare des disques que leur singularité place au-delà des modes et des genres. Au firmament du rock, Stephen Malkmus, branleur céleste, nous adresse un clin d'oeil goguenard...

(cet article a également été publié dans la rubrique "Oldies" d'Indiepoprock.net)

Pavement - Slanted And Enchanted

Des classiques qui ont émergé de la pépinière américaine au cours des années 90, le premier album de Pavement est probablement l’exemple le plus frappant, à la fois manifeste esthétique de ce qu'on appellerait bientôt lo-fi et première démonstration d'une ouverture du rock indépendant américain à de multiples influences extérieures. "Slanted And Enchanted" a également contribué à forger les goûts musicaux de toute une génération de passionnés de musique, pour qui il représente un véritable "disque d'île déserte". Au moment de tenter d’écrire quelques lignes à propos d'un tel monolithe, un drôle de sentiment prend le dessus. Comment résumer ce disque sans dégainer l'habituel catalogue des superlatifs ? Au fond, comment parler d'un album qui a été souvent désigné comme le plus éclatant exemple de l'essence du rock indépendant des années 90, comme "Daydream Nation" de Sonic Youth a pu représenter le pinacle de l’approche bruitiste et arty des années 80 ?

Ce qui me frappe, c'est que ce qui fait aujourd’hui figure d’évidence ne coulait pas forcément de source à l’époque. Je me souviens encore de l’entrefilet dédié à "Slanted and Enchanted" dans la rubrique Popus des Inrockuptibles version bimestrielle, un article à la fois enthousiaste et anecdotique, bien loin évidemment de percevoir à quel point ce disque deviendrait classique. Maintenant, près de vingt ans après, l'analyse est plus aisée. La chose est entendue, depuis le départ, Pavement avait tout bon : un nom qui claque, un son crasseux et débraillé, au diapason des attentes d'une époque fatiguée des standards FM clinquants et ripolinés assénés à longueur de temps et bien sûr, des chansons à tomber par terre.

"Slanted and Enchanted" crachote, grince, couine, crisse, tousse, râle et c'est précisément tous ces bruits, ces sons inhabituels qui en faisaient la saveur : les coups de cymbale de Gary Young sur Summer Babe, le motif de guitare liquide de Zurich Is Stained, les "lalala" ironiques accompagnant l'intro saturée de Fame Throwa... Ces gimmicks contournaient malicieusement les limites d'un son par ailleurs chétif, instauraient d'emblée une véritable proximité avec l'auditeur et distillaient une fraîcheur insensée, merveilleuse à l'époque et encore maintenant fabuleuse... L’attitude "slacker" représentait clairement la meilleure manifestation des désillusions qui accompagnaient la décennie naissante. Il ne suffit cependant pas d’avoir l’attitude rock ad hoc pour sortir un grand disque - sans quoi Peter Doherty aurait une discographie acceptable. Là où Pavement se montrait déjà génial, c’est que le groupe transcendait le slacking grâce à des morceaux sublimes ; l’interprétation est foutraque et débraillée, mais les morceaux, eux, sont conçus avec méticulosité.

Sur "Slanted And Enchanted", la veine pop de Pavement reste encore assez timide. A part Here, déchirante complainte reprise notamment par les Tindersticks, les morceaux alignés ici restent fidèles à un esprit punk très affirmé. La qualité mélodique est bien là, de Summer Babe à Loretta’s Scars en passant par Trigger Cut ou In The Mouth Of A Desert (on pourrait presque citer tous les morceaux), mais l’habillage reste fruste et l'agressivité des guitares distordues sur lesquels Malkmus base le son du groupe peut désarçonner de prime abord. C'est ce qui fait de "Slanted And Enchanted" un album moins immédiat que les disques ultérieurs de Pavement, c'est aussi ce qui en fait un véritable symbole de son époque.

Pavement aura eu une influence incommensurable sur bon nombre de groupes et reste pourtant largement inconnu du grand public : indie jusqu'au bout, même si une reformation récente devrait permettre de faire enfin fonctionner le tiroir-caisse... Avec "Slanted and Enchanted", le groupe posait la première pierre d’une discographie qui couvrirait l'ensemble de la décennie et en accompagnerait les évolutions. Il définissait aussi et surtout un nouveau standard de rock indépendant. Ces 39 minutes sont évidemment essentielles.

(cet article a également été publié dans la rubrique "Oldies" d'Indiepoprock.net)

25 avril 2010

Vinyle #9 - This Mortal Coil - Filigree And Shadow

Réverbération au maximum, voix spectrales flottant sur une musique éthérée : pas de doute, nous sommes bien dans l'univers de This Mortal Coil, la rêverie quasi new-age de Ivo Watts-Russell. Insupportable succession de fadaises arty pour les détracteurs, This Mortal Coil représente surtout pour les amateurs le résumé merveilleux de ce que le rock intello pouvait produire de plus sophistiqué durant les années 80 - l'ultime remède contre tous les pisse-vinaigre qui voudraient résumer cette décennie à quelques tubes synthétiques fluorescents ou à une soirée gloubi-boulga.

Avec son cortège d'habitués (les soeurs Rutkowski, Dominic Appleton, Alison Limerick), le collectif This Mortal Coil, quelques années avant Massive Attack, a probablement proposé le plus beau recueil de voix de l'époque, des voix souvent traitées avec la dose massive d'écho de rigueur mais toujours mises en avant, magnifiées par des mélodies déchirantes, jamais en retrait derrière les instruments (Tarantula, Morning Glory, I Want To Live). Bien évidemment, le spleen cosmique et diaphane d'Ivo Watts-Russell n'a que peu à voir avec la soul urbaine et physique de 3D et consorts, mais on ne peut pas s'empêcher de trouver quelques parallèles dans ces deux façons de recourir à la beauté bouleversante d'une voix humaine pour habiter une musique par nature artificielle.

Moins abouti que son successeur "Blood", "Filigree And Shadow" propose beaucoup plus d'instrumentaux et s'avère donc d'une écoute plus exigeante, parfois à la limite de l'ascèse. Se laisser emporter, élever par cette musique n'est pas instantané, cela suppose plusieurs écoutes attentives, une disposition d'esprit propice à se délester des turpitudes du quotidien. Sous ces quelques conditions, le voyage demeure sublime.

Au-delà de la promesse de voyages immobiles, ce qui fait la grandeur de This Mortal Coil, ce sont aussi ces impensables reprises, audacieuses, lettrées, élégantes. Là encore le choix est impeccable, avec des reprises de Tim Buckley, des Talking Heads, de Colin Newman, de Van Morrison... Il n'en faut pas plus pour se replonger avec d'infinies délices dans ces années à mauvais escient honnies. En 1986, la classe avait plus qu'un nom : une dépouille. Mortelle.

2 avril 2010

Marina And The Diamonds - Are You Satisfied

Depuis que JD Beauvallet a définitivement sombré dans la folie (circa 1996 et sa découverte des Spice Girls), on voit régulièrement fleurir, chez les critiques les plus sérieux et les plus pointus, des discours étranges d'analyse de la musique populaire comme terrain d'expérimentation sonore (en vrac, via Britney Spears et les Neptunes, via les productions Timbaland, via Lily Allen ou encore, plus récemment Lady GaGa, j'en passe et des plus gratinées). C'est reparti pour un tour avec l'arrivée en fanfare de Marina Diamandis, de son joli minois, de sa voix spectaculaire, de son accent à couper au couteau et de ses tubes cybernétiques. Marina va au-delà de la pop bubblegum, on est carrément dans le domaine d'une pop Powerade - soit une mixture chimique aux arômes tous plus factices les uns que les autres, affichant un taux de sucre délirant. Assez étrangement, si l'écoute de l'album "The Family Jewels" s'avère globalement pénible, la formule peut marcher sur certains titres, en particulier sur Are You Satisfied. Une chanson que l'on pourrait qualifier, pour vraiment jouer les critiques, d'expérimentation fascinante de déconstruction de la pop synthétique, tant il est impossible d'y déceler une véritable structure couplet / refrain. Le morceau est construit comme une succession de ponts, sonnant comme autant d'hymnes, se succédant à un rythme effréné. C'est comme un lombric, ça n'a ni queue ni tête, mais ça s'imprime instantanément dans la mémoire et, ma foi, si l'on n'est pas trop regardant, ce n'est pas désagréable. Marina est donc le joli lombric musical de ce début d'année - je me demande juste s'il n'y aurait pas beaucoup plus ambitieux à faire avec une voix aussi singulière...

31 mars 2010

Un match, une chanson #10 - Portishead : Numb (PSG - Sochaux : 4-1)

La soirée aurait dû être formidable : le PSG, sans être étincelant, joue assez bien et, face à une opposition inexistante, se paie un score de gala. Au bout d'un quart d'heure, le score est déjà de 2-0, à aucun moment Sochaux ne donnera l'impression de pouvoir répondre quoi que ce soit face à la domination parisienne. Pourtant le Parc des Princes reste atone. L'ambiance est morose, plombée par la perspective du décès du supporter de Boulogne molesté lors de PSG - OM - décès qui ne sera déclaré que quelques jours plus tard mais que tous pressentent déjà comme imminent. Les virages ont déclaré un arrêt des chants ; on peut parler sans avoir besoin de hausser la voix et les joueurs entendent certainement toutes les invectives qui descendent des tribunes à leur égard.

Cette sensation inédite résume bien ce dont j'étais assez persuadé dès que j'ai commencé à suivre le club : un match de football vaut essentiellement pour l'alchimie entre un spectacle prenant place sur le terrain et une réaction du public. Cette alchimie peut prendre des formes insoupçonnées, des matches sans grand intérêt (y compris quelques défaites) pouvant devenir de très bons souvenirs du fait d'une grosse ambiance. Ce soir c'est l'inverse : ce qui aurait pu être une fête se révèle être un spectacle insipide.

Difficile dans ces conditions de trouver une chanson pour illustrer un tel paradoxe. On se rabattra ainsi sur un grand classique : Numb, de Portishead (tire de leur immortel premier album "Dummy"). Parce que ce titre, avec ses percussions heurtées qui s'écrasent face à une basse fantomatique et des accompagnements cotonneux, traduit mieux que nul autre cette sensation d'engourdissement, d'indifférence que le contexte tragique a jeté sur ce match.


Un match, une chanson #9 - Killing Joke : Requiem (PSG - OM : 0-3)

Requiem à plus d'un titre. D'abord et pour le plus léger pour ce fiasco sportif aux airs d'enterrement : toutes les craintes de l'avant-match (et si Ben Arfa devenait bon, et si les Marseillais, largement supérieurs sur le papier, marchaient littéralement sur les Parisiens, et si...) se révèlent fondées et Paris sombre, piétiné par un OM euphorique. Une étincelle d'espoir subsiste encore à la mi-temps, car si le PSG est déjà mené (0-1), l'équipe se démène et semble facilement pouvoir revenir au score. Au retour des vestiaires, les joueurs, apathiques, se font massacrer devant un Parc dégoûté...

Requiem, ensuite, pour les événements survenus autour du Parc, qui devaient se solder par la mort d'un supporter de Boulogne quelques semaines plus tard. Je n'avais pas réellement pris conscience de la gravité croissante des événements autour du club, et notamment des tensions croissantes entre groupes de personnes que j'hésiterais à qualifier de supporters. Un peu avant le match, nous avons vu passer en trombe ambulance et véhicules de police, sans doute pour gérer les conflits entre Auteuil et Boulogne. A ce moment cela semblait anecdotique. Je ne saurais pas me prononcer sur les culpabilités respectives des deux camps ; je crains fort que la stupidité ne soit amplement partagée. J'avoue ne pas encore bien comprendre comment tout cela est possible, ni (surtout) quel rapport cela peut avoir avec le foot. Aucun, je suppose.

Une interrogation, directement tirée du morceau de Killing Joke : "When will it start bothering you ?". Jusqu'à quand peut-on supporter une équipe alors que les déchaînements de connerie atteignent des niveaux, au sens propre, mortels ?


17 mars 2010

Un match, une chanson #8 - Beirut : The Penalty (PSG - Toulouse : 1-0)

Une seule leçon à retenir d'un tel match : lorsque le PSG mène, le Parc s'assagit (de façon relative). Malgré un match pénible, ennuyeux au possible et uniquement débloqué par un pénalty litigieux obtenu par Luyindula et transformé par Hoarau, malgré des chants peu amènes à l'encontre des actionnaires ou de l'encadrement du club, malgré de multiples protestations face au niveau de jeu globalement minable de l'équipe, malgré tous ces vents contraires, le PSG s'offre une petite victoire et le Parc une soirée presque paisible.

Evidemment, c'est pour son titre que j'ai retenu The Penalty de Beirut. Après tout, ce match hautement dispensable se résume à ce seul fait de jeu alors autant oublier cette morne plaine de plus d'une heure et demie et fréquenter un peu les sommets avec Zack Condon, même si c'est pour quelques minutes de bonheur à peine... The Penalty (issu de "The Flying Club Cup", le second album de Beirut), dont les paroles n'ont rien à voir avec le sport, se déguste par exemple très bien dans sa version "Blogothèque" (cf ci-dessous).

Un match, une chanson #7 - Kaiser Chiefs : I Predict A Riot (PSG - Lorient : 0-3)

J'ai laissé cette série de billets en jachère depuis plusieurs semaines (lire : mois). Pour tout dire il n'est pas aisé d'écrire sur le football et la musique - c'est peut-être facile pour Nick Hornby mais pour moi c'est encore loin d'être naturel. Qui plus est les très mauvais résultats de Paris et l'ambiance de plus en plus pesante autour du club ne m'ont pas aidé à poursuivre une démarche avant tout ludique. Pourtant, j'aimerais malgré tout revenir sur les 4 derniers matches du PSG au Parc des Princes. Je ne connais pas encore bien la tribune, l'historique des relations entre les différents groupes de supporters, mais rétrospectivement, tout était déjà bien lisible, comme en témoignent les seules phrases que j'avais notées à la hâte le 7 février, au lendemain de la déroute face à Lorient.

"L'électricité est palpable dans la tribune. Les visages, fermés, ne sont plus tournés vers le match mais bien vers la tribune elle-même, à l'affut de l'endroit d'où partira la prochaine volée de huées, la prochaine bordée d'injures, la plupart des gens se désintéressent du spectacle du terrain pour surveiller, de coups d'oeil fugaces mais révélateurs, les mouvements avoisinants. Des ballons de baudruche éclatent, les cloisons métalliques qui font office de séparation entre les tribunes résonnent sous les coups de latte."

J'avais retenu, pour son simple titre, I Predict A Riot des Kaiser Chiefs, une chanson que je n'apprécie pas réellement par ailleurs (après avoir un instant hésité avec Armand Est Mort, un vieux titre de MC Solaar qu'on aurait pu, avec un humour assez noir, dédier au défenseur parisien, nul et conspué face à Lorient). Les événements autour du match face à l'OM me donneraient raison quelques semaines plus tard.


12 mars 2010

Vinyle #8 - This Mortal Coil - Blood

Au moment où est paru cet album (en 1991), le label 4AD était depuis longtemps devenu mythique chez les fans de rock indépendant : une sorte de Blue Note de la pop éthérée (Cocteau Twins) ou du rock tordu (Pixies, Breeders, Throwing Muses). A l'époque, 4AD avait tout d'une dream-team pour fan de musique Lenoiresque. Il faut reconnaître à Ivo Watts-Russell (le créateur du label) un certain flair, une démarche originale et droite, une rigueur dans la poursuite de sa ligne artistique qui restent encore aujourd'hui exemplaires. This Mortal Coil, projet ambitieux qui ressemble fort à la poursuite monomaniaque d'un fantasme de passionné de musique, est la preuve évidente de toutes ces qualités. L'idée même du projet semble à la fois limpide et impensable : réunir des artistes pour un florilège de reprises et de compositions personnelles. Une sorte de No-Star Academy, en quelque sorte. Trois albums furent ainsi produits par ce faux groupe ; "Blood" est le dernier d'entre eux.

Patchwork de chansons douces reliées entre elles par de souvent splendides plages instrumentales contemplatives, "Blood" distille une indicible mélancolie ainsi qu'un sentiment d'apaisement euphorisant. Dès le premier morceau, le charme agit, posant les bases d'un schéma que l'on retrouvera à de nombreuses reprises au cours du disque : d'étranges nappes synthétiques viennent bercer l'oreille, avant de s'effacer pour laisser la place à un quatuor à cordes élégiaque. Les chansons choisies sont presque toutes aussi excellentes que méconnues, leur interprétation est systématiquement renversante. You And Your Sister, fredonné d'une voix douce par Kim Deal des Pixies, est le plus beau morceau qu'elle ait jamais chanté. Mr Somewhere, merveille tout droit venue du premier album des excellents Apartments, susurrée par Carolyn Crawley, garde toute sa simplicité et son charme presque naïf. I Come And Stand At Every Door, splendeur souveraine à l'imposante majesté, force l'admiration : le morceau s'ouvre sur un a capella à couper le souffle, puis un violon vient seconder la voix durant le deuxième couplet ; un rythme lent et minimal s'ajoute ensuite, avant qu'un nouvel écheveau de violons, de voix et de nappes synthétiques ne vienne compléter le fond musical pour un final passionnant. Et qui peut rester insensible à la douceur de Several Times, douce comptine à la mélodie enchanteresse, se concluant sur les notes évanescentes d'un piano incertain?

"Blood" recèle encore bien d'autres pépites (l'inquiet et étrange Late Night, le vaporeux Carolyn's Song), mais le plus beau finalement, c'est qu'en dépit du nombre des intervenants, ce disque dégage une véritable impression de cohérence. Tout coule de source et "Blood" se prête peut-être mieux que tout autre album à ces séances d'écoute songeuses, de celles que l'on s'offre les soirs de spleen, confortablement installé dans un fauteuil, l'esprit vagabondant au gré des vents soufflés par cette musique triste et belle.

Laura Veirs - July Flame

Une fois n'est pas coutume, parlons d'une simple chanson. Les 4 minutes les plus envoûtantes de ce début d'année sont signées Laura Veirs (un nom que je croise régulièrement depuis plusieurs années sans avoir eu jusqu'ici le courage de me pencher réellement sur sa musique). Je ne suis pas certain d'écrire un article entier sur le dernier album de Laura Veirs, "July Flame". C'est un bon disque mais je le trouve trop inégal, grevé par de trop nombreux titres dispensables. Mais la chanson titre, mâtin, cette chanson... Depuis que j'ai entendu July Flame (la chanson), et cela fait plusieurs semaines, je n'arrive pas à m'en défaire. Une accroche minimaliste sur quelques glissés de guitares, la voix mi-femme mi-enfant de Laura Veirs qui se cale d'abord très scolairement sur cette trame, puis le morceau prend son envol progressivement, au gré de l'arrivée de différents instruments, de différentes voix, pour finir en joyeux entrelacs de lignes mélodiques. A l'arrivée, près de 4 minutes de bonheur, à savourer sans modération aucune.

Je vous propose au passage d'en découvrir la vidéo artisanale et assez décalée, signée par Doug Savage, l'auteur des par ailleurs très pertinents Savage Chickens...


5 mars 2010

The Mountain Goats - The Life Of The World To Come

Voilà plusieurs semaines que je n'avais pas écrit sur un disque. Je dois avouer que j'ai passé beaucoup de temps, comme chaque année, à mettre à profit les milliers de classements publiés dans chaque recoin du web pour découvrir les nombreux albums que j'ai ratés en 2009. J'ai trouvé beaucoup de baudruches, beaucoup d'écoutes dispensables, mais heureusement quelques belle trouvailles, que je n'aurai pas le courage de toutes mentionner car la plupart ont déjà été louées maintes fois au sein de maints sites. J'aimerais cependant parler ici de l'album des Mountain Goats - et en préalable, je dois avouer que c'est le premier album de ce groupe que j'écoute, malgré la taille déjà imposante de leur discographie.

J'ai envie d'écrire que "The Life Of The World To Come" est un album honnête ; ironie lexicale, ce serait sous-entendre à peu près le contraire de ce que je ressens réellement. Un disque "honnête", c'est comme une personne "gentille" : sous le compliment apparent se cache en général un dédain à peine masqué. Or j'ai tout sauf envie de dédaigner "The Life Of The World To Come". Si je parle d'honnêteté, c'est parce qu'à aucun moment cette musique ne semble fabriquée, travestie, maquillée. Au contraire, les Mountain Goats portent haut les valeurs de ferveur, de simplicité, portés par une véritable foi en la musique (les titres des chansons, faisant tous référence à des passages de la Bible, attestent d'ailleurs de la place de la foi, sous toutes ses formes, dans cet album). Dès la première écoute, la profonde sincérité du disque s'impose, principalement véhiculée par la belle voix voilée de John Darnielle, et par les instrumentations, très acoustiques, sobres et parfois rudimentaires mais pourtant assez travaillées. Les quelques interventions du très à la mode Owen Pallett sur des arrangements de cordes se fondent remarquablement dans l'ensemble, apportant des enjolivures bienvenues sans pour autant phagocyter l'attention. Quant à l'écriture, elle tient remarquablement la rampe ; dans une veine très marquée par le folk, le songwriting de Darnielle est classique, sans volonté réelle d'innover, mais maîtrisé.

Serait-ce à dire que "The Life Of The World To Come" est un chef-d'oeuvre ? Certainement pas, mais sa simplicité, son honnêteté en font le disque le plus attachant que j'aie écouté ces dernières semaines. John Darnielle n'a certainement rien à faire de la hype, doit se foutre des modes comme de sa première corde cassée. "The Life Of The World To Come" est un album sur lequel rien n'est feint, dans lequel la cosmétique n'a pas droit de cité. Cette qualité devient, je m'en rends compte, une qualité qui me touche de plus en plus dans les disques que j'écoute. J'avais déjà écrit tout le bien que je pensais, pour des raisons similaires, de "The Meadowlands" de The Wrens.

Au-delà de leurs qualités intrinsèques, certains disques ne valent que par ce que l'auditeur en fait. Cet album des Mountain Goats appartient vraiment à cette veine de disques "contextuels". Pour qui souhaite rester en phase avec le rythme frénétique imposé par notre siècle, "The Life Of The World To Come" pourra paraître ennuyeux et fade. Pour qui estime au contraire avoir besoin de se mettre en retrait quelques temps, de se mettre hors circuit et de respirer, il sera en revanche un compagnon des plus précieux.

Pour vous en convaincre, je vous propose d'écouter le merveilleux 1 John 4:16

4 mars 2010

Fred Vargas - Dans Les Bois Eternels

Le polar s'accommode bien des séries ; tous les auteurs semblent prendre plaisir à créer un héros et le suivre sur plusieurs romans. De l'ancêtre Agatha Christie avec Poirot à la doyenne PD James avec Adam Dalgliesh en passant par la plus dispensable Elisabeth George (Linley) ou même Patricia Cornwell (Scarpetta), la récurrence des personnages est une figure imposée du policier. Ce qui m'étonne, c'est finalement que Fred Vargas, romancière en tous points exceptionnelle, ne fasse pas exception à la règle.

Fred Vargas, c'est le symbole d'une certaine excellence du roman policier à la française. On parle bien de roman policier et non de roman noir, soit de la résolution d'une énigme initialement posée plutôt que de l'exploration des méandres de l'âme humaine. Ce qui faisait la force et l'originalité de Vargas tenait selon moi à plusieurs éléments. D'abord une écriture légère, simple, élégante, empreinte d'un humour doux-amer des plus séduisants. Ensuite une capacité à créer un univers décalé, déroutant, délicatement onirique. Enfin une intelligence dans la construction : alors que dans un polar classique, l'énigme est posée dès la première page, dans un roman de Vargas, l'intrigue se construisait généralement à partir d'un dérèglement initial qui pouvait sembler anodin - en d'autres termes on passait une bonne partie du livre à se demander quelle était l'intrigue, une incertitude assez ludique et stimulante. On retrouve ces ingrédients ici, mais maniés avec moins de pertinence qu'à l'accoutumée.

J'ai été surpris de voir Vargas opter, au fil des romans, pour un personnage récurrent (le fantasque Adamsberg). Surpris car à la lecture de ces premiers romans où l'on croisait d'autres héros, j'avais eu l'impression qu'en recourant à un univers aussi excentrique elle devrait en rester à des figures à usage unique, sous peine de voir leur charme s'éventer.

Pour ma part, j'ai erré entre deux sentiments à la lecture de "Dans Les Bois Eternels". D'abord le plaisir de retrouver le style et la patte (tous deux indéniables et reconnaissables) de Fred Vargas dans un roman de qualité. Ensuite la déception et une pointe d'énervement à voir cet univers stagner totalement et même s'échouer sans grand succès sur les rives du réel.

Tant que Fred Vargas restait dans un univers mal défini, aux frontières du policier et du fantastique mais dans tous les cas hors des limites du quotidien, ses romans trouvaient leur place. Pour faire évoluer son microcosme, Vargas l'enrichit de nouveaux personnages, beaucoup plus nombreux que par le passé, et tente d'ancrer son action dans un univers plus consistant. Dans les deux cas, ce n'est pas forcément la meilleure solution. Ses personnages sont trop excentriques pour être réels et pour passionner dans la durée. Tant que l'on n'avait affaire qu'à un ou deux héros atteints de folie douce, on arrivait à y adhérer sans problème. Ici c'est tout une brigade qui semble marcher sur la tête, entre celui qui ne s'exprime qu'en vers, l'alcoolique au savoir encyclopédique, le débutant aux réparties stupides mais à la mémoire hors normes... Sans parler de l'ensemble des personnages croisés, tous plus barrés les uns que les autres. Ce qui se traduit au final par une progression assez décousue (on ne comprend que dalle à ce que font les personnages mais c'est normal parce qu'ils sont fous) et une succession de dialogues totalement invraisemblables...

Pour finir, "Dans Les Bois Eternels" reste un bon roman, grâce à l'écriture de Fred Vargas qui est toujours aussi alerte. Mais son charme ne tient plus qu'à cela. Les recettes et les ficelles de l'univers de Vargas deviennent avec le temps de plus en plus apparentes et systématiques...

20 février 2010

Japandroids - Post-Nothing

J'ai découvert sur le tard le premier album de Japandroids. J'aurais vraiment aimé voir le groupe cette semaine sur scène ; à défaut voici un petit retour sur cet album.

Les a priori sont stupides, parfois. Avec leur nom composite (en fait un téléscopage des noms des groupes d'origine de ces deux lascars), les Japandroids évoquent à la première lecture une engeance techno pas forcément ragoûtante. En fait, "Post Nothing" est un album de chair, de sang, de salive, de sueur, de foutre. Un album de fluides vitaux, un album de fluides vital. Un mur de guitares, érigé avec un son tellement saturé qu'on n'arrive jamais vraiment à savoir si tout cela est le fruit d'un seul instrument ou d'une horde de crève-la-dalle armés de six cordes. Une batterie épileptique, qui lutte ce qu'elle peut pour ne pas se faire concasser par les guitares, et qui multiplie les brisures rythmiques et les syncopes comme un animal traqué accumulerait les changements de direction pour échapper à son prédateur. Une voix, parfois deux même si j'hésiterais à parler d'harmonies vocales, entre le chant et le cri, suintant aussi bien l'excitation que la détresse. Miraculeusement, de ce maelström émergent de vraies chansons, des refrains qu'on peut aussi bien fredonner que hurler.

Cet album a la rage, la vraie, une rage teintée de désespoir, et le rock primal délivré par le duo enterre littéralement les productions de bien des groupes portés sur le minimalisme. Certes, ça fait du bruit, c'est très désordonné, ce n'est ni rigoureux ni très élégant. C'est le type d'albums qu'on devine torchés à la va-vite, dans l'urgence de quelques nuits sans sommeil, balancés sans ménagement dans la gueule de l'auditeur comme on balancerait une bouteille à la mer - parce qu'on craint la noyade prochaine. Je n'avais plus ressenti cette excitation, cette urgence avec une telle acuité depuis longtemps - ou sur des disques de hip-hop plutôt que sur des disques de rock.

"Post-Nothing" est un disque qui déferle littéralement sur la tronche, sans sommation, sans trompette mais avec pas mal de tambours. Un disque qui secoue, qui piétine, qui malmène. Un disque qui donne une putain d'impression de se sentir vivant, qui donne envie de s'ébrouer et de pousser de vieux hurlements de damnés le matin dans le métro. Un disque qui fait rêver d'avoir de nouveau vingt balais pour pouvoir écrire à une fille : "It's raining / In Vancouver / But I don't give a fuck / Because I'm alone with you tonight".


31 janvier 2010

Ray French - Six Pieds Sous Terre

Pour lutter contre une vague de licenciements, Aidan, un ouvrier gallois, se lance dans une manifestation très personnelle en s'enterrant pendant plusieurs semaines dans un cercueil enseveli au milieu de son jardin. C'est sur ce point de départ (qui va évidemment déclencher une foule d'événements inattendus) que Ray French brode "Six Pieds Sous Terre", une fable sociale dans la droite lignée des canons du genre : autour d'Aidan gravite une galerie de personnages qui permet de mettre en scène des péripéties tour à tour émouvantes et cocasses (la fille aînée, sérieuse et rangée, le fils, arriviste et velléitaire, la bande d'amis couillons mais fidèles...)

"Six Pieds Sous Terre" se lit sans déplaisir et sans ennui. Sans enthousiasme débordant non plus, notamment parce que Ray French se borne à utiliser des figures classiques de la littérature sociale anglaise. Les prolétaires sont un peu rustres, mais sympathiques et plus intelligents qu'il n'y paraît, les patrons sont méchants et n'auront d'ailleurs à aucun moment la parole dans le livre. A l'arrivée, c'est grand capital qui triomphe mais les ouvriers sont plus soudés que jamais après une expérience qui leur prouve à tous les vertus de l'amitié et de l'amour...

De la difficulté à survivre dans un caisson enterré, de la claustrophobie que l'expérience peut provoquer, il n'est pas fait mention ou presque. Seules quelques pages s'attachent à décrire les premiers jours d'Aidan dans son cercueil, l'oppression de se savoir à la merci d'un événement imprévu, sans aucune possibilité physique de réagir du fait de l'exiguïté du caisson, l'organisation nécessaire pour maintenir un semblant d'hygiène corporelle... Ce sont les pages les plus réussies du livre et j'aurais vraiment apprécié que cette expérience d'isolement soit beaucoup plus développée, mais French craint visiblement d'ennuyer le lecteur et s'empresse alors de trouver des expédients pour relancer le récit à l'aide d'événements prenant place sur la terre ferme. Aidan et son cercueil ne sont alors plus qu'un prétexte pour une seconde moitié de roman en forme de métaphore de la lutte des classes. Une solution de facilité qui rend le roman plus distrayant mais qui en limite considérablement l'impact...

Un match, une chanson #6 - The Ramones : Why Is It Always This Way ? (PSG - Monaco : 0-1)

Un match correct du PSG qui se termine pourtant en défaite ridicule avec un but contre son camp du goal remplaçant Edel et des regrets énormes pour l'équipe dont les tirs ont heurté trois fois les poteaux adverses. Le but ? Une erreur ridicule qui ne manquera pas d'ailleurs d'être reprise et raillée avec délectation par les journalistes dès le lendemain. Le Parc dégaine des banderoles de plus en plus assassines à l'encontre de Colony Capital, les chants invitant poliment l'actionnaire à investir ou à passer la main se multiplient... La frustration se fait palpable - il faut bien reconnaître que se déplacer en plein milieu de semaine en hiver pour voir son équipe se faire ridiculiser par les hommes de Guy Lacombe n'a rien de très satisfaisant. Je retiens aussi cette sentence assénée par un supporter près de moi en tribune après un tir sur la transversalle : "ils ne marqueront pas aujourd'hui" - une évidence dictée par le fatalisme du supporter dépité. Comme une habitude, déjà, une certitude. De Grenoble à Auxerre la saison dernière en passant par Nice ou maintenant Monaco, on a vraiment le sentiment qu'effectivement, c'est toujours comme ça... Et pourquoi ? C'est la question que je fais mienne en choisissant Why Is It Always This Way ? des Ramones pour accompagner ce billet. Rappelons qu'au départ le morceau tiré de "Rocket To Russia" n'a que peu avoir avec des frustrations sportives puisqu'il évoque les derniers souvenirs d'une fille suicidaire avant son dernier geste...

Un dernier mot pour mentionner la tension croissante qui semble régner dans la tribune et plus encore, entre les tribunes Boulogne et Auteuil. Je ne connais pas assez bien l'histoire du club et le monde des supporters pour pouvoir porter un jugement ; je ne sais pas non plus si tout cela est uniquement lié aux résultats sportifs ou si d'autres considérations entrent en ligne de compte. En tout cas j'ai le sentiment diffus que l'on est peut être partis pour des mois assez troubles pour le club et les supporters... Une raison de plus pour choisir une bonne vieille chanson punk pour illustrer ce match.

6 janvier 2010

Richard Price - Le Samaritain

Ray Mitchell, scénariste d'une série à succès, revient dans la banlieue déshéritée dans laquelle il a grandi pour animer un atelier d'écriture dans son ancien lycée. Quelques semaines plus tard, il est victime d'une agression qui le laisse entre la vie et la mort. L'inspectrice Nerese Ammons, policière à quelques mois de la retraite et camarade d'enfance de Mitchell, se met en tête de résoudre l'affaire... Sur cette trame somme toute banale, Richard Price bâtit un roman véritablement bouleversant. J'hésiterais beaucoup à qualifier "Le Samaritain" de roman policier ou de roman noir. Ce bouquin exsude la tristesse, la mélancolie, c'est un fait, mais il n'a rien à voir avec la vision du monde cynique et désabusée d'un James Ellroy par exemple. Au contraire, les personnages sont tous dépeints avec une attention, une finesse et une humanité qui les rendent à la fois crédibles et passionnants. Tous nous sont livrés avec leurs qualités, leurs défauts, leurs contradictions, leurs interrogations. Imparfaits mais admirables. Chez Richard Price, il n'y a donc pas véritablement de gentils ou de méchants, simplement des êtres plus ou moins blessés, plus ou moins courageux, dont les actions sont guidées alternativement par la volonté de garder la tête hors de l'eau et par le violent désir d'être aimé.

Les amateurs de péripéties à foison en resteront pour leur frais : pour apprécier "Le Samaritain", il faut savoir se laisser porter par son rythme lâche, savoir emprunter les chemins de traverse qu'ils nous propose, savoir écouter ces dizaines de voix qui tour à tour s'expriment. Pour qui acceptera de lui consacrer un peu de temps, ce magnifique roman flapi, ce grand livre las se montrera passionnant et émouvant de bout en bout. D'abord parce que son personnage central, l'étrange Ray Mitchell, est un loser sublime, conteur intarissable prêt à tout pourvu que cela lui permette de se sentir utile. Mais au-delà de cette figure marquante, c'est une formidable galerie de personnages qui s'anime sous nos yeux, un microcosme dont les actions, les histoires, les relations tissent le canevas de l'évolution d'une ville, de ses différents quartiers, de sa population, sur plusieurs décennies. C'est tout à la fois touchant et jubilatoire, à la fois totalement statique et débordant d'action : si l'histoire principale tient finalement sur un confetti, ce sont les anecdotes foisonnantes qui se greffent dessus qui font toute la substance de ce livre monde. Un roman choral, comme le rappelle la quatrième de couverture, mais là où ce type d'entreprises vise surtout à créer des intrigues qui s'entrecroisent de façon abracadabrante, Richard Price se contente de donner à chacun la parole, avec simplicité. Il ne cherche pas à épater la galerie mais il a des milliers d'histoires à raconter. Ecoutez-les !

3 janvier 2010

Gregory McDonald - Rafael, Derniers Jours

Bienvenue en enfer : Rafael, épave humaine de même pas trente ans, accepte d'être la victime d'un snuff-movie en échange de quelques milliers de dollars à léguer à sa famille. "Rafael, Derniers Jours" narre - comme la traduction française du titre original "The Brave" l'indique clairement - les faits et gestes du condamné durant le bref laps de temps qui le sépare de sa mort. Suit une succession de saynètes décrivant la vie d'une communauté de marginaux pour qui l'expression "no future" semble vraiment avoir un sens.

Cela pourrait être insupportable, ça l'est dans une certaine mesure d'ailleurs, mais c'est aussi, surtout, bien plus que ça : joyeux, émouvant, parfois poignant. La grande force de ce très bref roman, c'est qu'il parvient à survivre, à transcender même son argument de base choquant et malsain grâce à une empathie et une tendresse qui donnent envie d'aimer ces personnages. Bien entendu, on ne ressort ni indemne ni gai de cette plongée dans un marais de misère (l'univers bidonvillesque de Morgantown, où les habitants, tous illettrés et alcooliques, tentent de gagner leur pitance en revendant tant bien que mal des objets extirpés de la décharge avoisinante). Le choix de Rafael lui permet cependant d'apporter un bonheur inhabituel à ses proches, de s'imprégner de l'amour qu'il éprouve pour sa famille boîteuse, de prendre conscience de la misère de sa vie, de la vie de ceux qui l'entourent, de bâtir des projets d'avenir en échappant à l'angoisse de les voir s'effondrer.

L'écriture de McDonald est sèche, sans beaucoup de fioritures ni de description, et s'appuie principalement sur des dialogues pour décrire les personnages et leurs relations. C'est cette sobriété qui permet au livre d'échapper au pathos, au voyeurisme glauque. Mémorable, pas moins.