29 octobre 2009

Vinyle #7 - The Cure - Kiss Me

Cher Robert Smith,

te tenait-il vraiment à coeur, ce "Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me" ? Ou bien ce patchwork mal foutu est-il le reflet de la façon dont tu l'as conçu, avec des bouts de chansons récupérées ça et là (Just Like Heaven, auparavant donnée pour générique à une émission de télé et pourtant à jamais au panthéon des chansons pop parfaites), pour répondre à la demande, forcément énorme après le tabac de "The Head On The Door" ? Etait-ce cela, ta vie, une succession invraisemblable de moments euphoriques, lumineux, et de journées de désolation passées à crier ton désespoir, un spectacle plus grand que nature, où la démesure de l'ambition se confond avec la fuite en avant ?

Je me demande souvent si le succès, la reconnaissance ont été plus faciles à vivre que les mois où tu consignais ton mal-être sur une série de monuments claustrophobes définitifs. T'a-t-il été difficile de ne plus exister que pour "The Head On The Door", pourtant pas l'album le plus joyeux de la création, mais le plus léger dont tu aies été capable ? T'es-tu senti prisonnier de cet album qui représentait pourtant un merveilleux exutoire après des années de dépression ? Je me souviens encore de cette émission avec Drucker, ce "Champs-Elysées" où vous étiez arrivés grimés en filles, maquillés à outrance et bourrés comme des coings pour une interprétation à la fois dérisoire et immortelle de Boys Don't Cry. J'étais trop petit à l'époque pour en comprendre toute la portée, pour en saisir, plus que la subversion, le désespoir, l'incapacité à détourner réellement un spectacle avançant avec la puissance et l'inertie d'un train sur des rails.

Il faut croire d'ailleurs que bien d'autres que moi étaient trop jeunes pour comprendre. Sinon peut-être la tristesse absolue de ce disque insensé aurait-elle été mieux sentie, mieux perçue. "Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me" est presque systématiquement écarté d'un revers de la main comme le rejeton indigne et boursouflé de "The Head On The Door". Pourtant, toute la lenteur, la majesté de "Disintegration" sont déjà là, dès le premier morceau (The Kiss, comme par hasard), ou plus loin sur The Snakepit et One More Time. Et toute l'élégance de composition dont tu sais faire preuve éclate sur quelques merveilles immarcescibles (Catch, How Beautiful You Are, All I Want, The Perfect Girl ou Just Like Heaven, encore).

Où alors est-ce l'effet zapping, ce changement d'humeur systématique, qui a dérouté la critique ? Vingt-deux ans après, rassure-toi, cela ne choque plus personne : depuis l'avènement du MP3, sans que l'on s'en rende compte, l'album est devenu une notion rétrograde et dépassée. La musique se consomme comme un menu MacDo, en "Best Of", version Maxi pour les boulimiques. Il est bien plus facile de picorer les morceaux comme des nuggets, sans se soucier de la composition ou de l'équilibre du repas. Aurais-tu été heureux, cependant, d'imaginer que chacun vienne consommer à loisir tes chansons sans se préoccuper de la façon, aussi tordue soit-elle, dont tu les avais agencées ?

Restent à expliquer ces inexplicables faux pas. Hey You !, Why Can't I Be You, Hot, Hot Hot !!!, franchement... A quoi ça rime ? A rien, probablement, j'imagine même que c'est pour ça que tu as gardé ces morceaux dans la liste, pour mieux montrer par quels méandres l'inspiration peut passer. A moins que l'on t'ait forcé à panacher ton cocktail de chansons plus dynamiques pour ménager les ventes. Dans un cas comme dans l'autre, cela a dû être douloureux.

J'ai trop lu "Les Inrockuptibles" étant jeune, alors l'expression "grand disque malade" me brûle les lèvres. Mais finalement, avec toi, cher Robert Smith, la maladie est un prérequis, à quoi bon la mentionner ? "Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me" est, conséquemment, un grand disque, tout court. Probablement pas ton meilleur, ni ton plus triste, ni le plus joyeux, mais peut-être le plus vivant, celui où au-delà de la mélancolie, tous les sentiments que l'on peut ressentir au cours d'une vie se trouvent concentrés. Il est encore sacrément pertinent plus de vingt ans après : tu peux être fier.

1 commentaire:

Christophe a dit…

C'est vrai que cet album est injustement dénigré dans la discographie des Cure, alors qu'ils ont fait bien pire avant (The Top) et après (presque tout depuis Wish).