"Stephen Malkmus, le Georges Abitbol du rock"...
Lorsque j'avais interviewé Stephen Malkmus, il y a un peu plus de deux ans, je ne l'avais pas vu croiser les doigts lorsqu'il m'avait affirmé qu'il n'y aurait pas de reformation de Pavement. Quelques mois après, les choses ont visiblement changé et voici que ces huit lettres mythiques viennent allonger la longue liste des réunions de groupes mythiques depuis longtemps disparus... Pavement est en tournée et comme avec les Pixies et My Bloody Valentine, me voilà pris entre deux sentiments : l'impression qu'il n'y a rien de plus derrière tout cela qu'une bonne poignée de dollars d'une part, d'autre part la certitude que si je passe à côté de ces concerts j'en nourrirai de sérieux regrets, même s'il faut pour cela s'aventurer une fois de plus dans cette horreur acoustique qu'est le Zénith...
Rares sont les premières parties qui trouvent grâce aux yeux du public. Ce soir la donne est différente car Pavement se fait accompagner d'une pointure : The National, quelques jours avant la parution de leur nouvel album "High Violet". Malheureusement, j'arrive au Zénith avec du retard et le set des Américains est déjà bien entamé. Matt Berninger, la silhouette épaissie, le visage un peu bouffi, a visiblement pris un coup de vieux et sa voix semble fatiguée sur cette fin de concert. En revanche, le groupe est toujours aussi merveilleusement en place. Je regrette de n'avoir assisté qu'aux derniers morceaux car ceux que j'ai pu voir (pour "High Violet", Terrible Love ou le fabuleux England) m'ont tout simplement laissé pantois. Ce groupe est grand et pendant l'entracte, je me demande si l'on dira dans quelques jours que l'on a vu The National en première partie de Pavement ou Pavement en seconde partie de The National...
Pavement entre en scène et ces simples silhouettes incertaines se mouvant dans la pénombre déclenchent en quelques secondes un torrent d'émotions contradictoires, de l'incrédulité - Pavement, bon sang ! - à l'appréhension - à quoi ce concert va-t-il ressembler ? Un magma de guitares informes résonne et l'on sent distinctement un petit temps de latence dans l'audience interloquée. Lorsque le tout prend consistance et que l'on reconnaît l'intro de Silence Kid, les premières acclamations enthousiastes se font entendre. Nous sommes de nouveau jeunes, "Crooked Rain Crooked Rain" vient de sortir, la machine à remonter le temps fonctionne à plein régime. En étant indulgent, je pourrais écrire que rien que pour cela, ce concert valait la peine : on n'a pas encore entendu une seule chanson mais l'allégresse douce-amère qui me submerge pourrait presque m'arracher quelques larmes. Le début du concert ne lève cependant pas toutes les inquiétudes, Pavement a visiblement du mal à se mettre en place, la voix de Malkmus est inaudible - pourtant les titres choisis dessinent déjà une setlist incroyable et exigeante.
Petit à petit (notamment à partir d'une version furieuse de Two States), le show se met en place. Stephen Malkmus fait son Malkmus. Le Georges Abitbol du rock, l'homme le plus classe du monde indie, prend quelques poses de rock star ironique, toujours décalé, montre même quelques signes de lassitude sans que l'on puisse déterminer avec certitude s'il méprise réellement le public ou bien s'il joue gentiment avec lui. Malgré l'acoustique déplorable du Zénith, le son demeure acceptable quoiqu'évidemment bien trop fort et le groupe joue de plus en plus juste au fil des morceaux. La prestation est très carrée, ce qui se révèle presque dérangeant pour un groupe comme Pavement dont la nature profonde est d'être bancal. Range Life, notamment, souffre d'un traitement rock couillu qui dénature cette pépite country débraillée.
La setlist est très orientée sur les premiers albums, plus de la moitié des titres joués ce soir provenant de "Slanted And Enchanted" ou "Crooked Rain Crooked Rain". Le public réagit d'ailleurs avec beaucoup d'enthousiasme sur certains morceaux qui sortent clairement des sentiers battus. "Terror Twilight" n'est abordé que le temps d'un Spit On A Stranger tièdement accueilli. Le choix de terminer le concert sur une version enflammée de Conduit For Sale ! en dit d'ailleurs long et montre bien qu'on était d'abord ici pour voyager dans le temps. "Back in 92", nous hurle à plusieurs reprises un Bob Nastanovich aux cris omniprésents (et parfois hors sujet).
Je finis le concert en remuant la tête avec enthousiasme et émotion lorsque les grands titres sont joués, notamment lors d'un enchaînement Stop Breathin / Cut Your Hair merveilleux. Evidemment, le plaisir se heurte aux limites de l'exercice, qui n'est rien d'autre qu'une révision de vieilles chansons sans que rien de neuf ne soit apporté. C'est une soirée au musée de l'indie-rock que l'on a pu effectuer. Il est clairement inutile de se bercer d'illusions quant aux raisons de la reformation de Pavement. Bien sûr on peut toujours cracher dans la soupe et railler ce public en grande partie composé de trentenaires à la chevelure de moins en moins fournie, à la bedaine naissante mal dissimulée sous un T-Shirt de circonstance. Toutefois je ne peux m'empêcher de trouver réjouissant d'entendre des centaines de personnes reprendre en choeur le refrain de Here ou de Trigger Cut. A l'heure du retour de Dorothée et d'une véritable mode régressive sur fond de soirées Casimir, ces instants ont quelque chose de rassurant. La nostalgie n'a pas forcément un goût de beurre rance.
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