4 mars 2010

Fred Vargas - Dans Les Bois Eternels

Le polar s'accommode bien des séries ; tous les auteurs semblent prendre plaisir à créer un héros et le suivre sur plusieurs romans. De l'ancêtre Agatha Christie avec Poirot à la doyenne PD James avec Adam Dalgliesh en passant par la plus dispensable Elisabeth George (Linley) ou même Patricia Cornwell (Scarpetta), la récurrence des personnages est une figure imposée du policier. Ce qui m'étonne, c'est finalement que Fred Vargas, romancière en tous points exceptionnelle, ne fasse pas exception à la règle.

Fred Vargas, c'est le symbole d'une certaine excellence du roman policier à la française. On parle bien de roman policier et non de roman noir, soit de la résolution d'une énigme initialement posée plutôt que de l'exploration des méandres de l'âme humaine. Ce qui faisait la force et l'originalité de Vargas tenait selon moi à plusieurs éléments. D'abord une écriture légère, simple, élégante, empreinte d'un humour doux-amer des plus séduisants. Ensuite une capacité à créer un univers décalé, déroutant, délicatement onirique. Enfin une intelligence dans la construction : alors que dans un polar classique, l'énigme est posée dès la première page, dans un roman de Vargas, l'intrigue se construisait généralement à partir d'un dérèglement initial qui pouvait sembler anodin - en d'autres termes on passait une bonne partie du livre à se demander quelle était l'intrigue, une incertitude assez ludique et stimulante. On retrouve ces ingrédients ici, mais maniés avec moins de pertinence qu'à l'accoutumée.

J'ai été surpris de voir Vargas opter, au fil des romans, pour un personnage récurrent (le fantasque Adamsberg). Surpris car à la lecture de ces premiers romans où l'on croisait d'autres héros, j'avais eu l'impression qu'en recourant à un univers aussi excentrique elle devrait en rester à des figures à usage unique, sous peine de voir leur charme s'éventer.

Pour ma part, j'ai erré entre deux sentiments à la lecture de "Dans Les Bois Eternels". D'abord le plaisir de retrouver le style et la patte (tous deux indéniables et reconnaissables) de Fred Vargas dans un roman de qualité. Ensuite la déception et une pointe d'énervement à voir cet univers stagner totalement et même s'échouer sans grand succès sur les rives du réel.

Tant que Fred Vargas restait dans un univers mal défini, aux frontières du policier et du fantastique mais dans tous les cas hors des limites du quotidien, ses romans trouvaient leur place. Pour faire évoluer son microcosme, Vargas l'enrichit de nouveaux personnages, beaucoup plus nombreux que par le passé, et tente d'ancrer son action dans un univers plus consistant. Dans les deux cas, ce n'est pas forcément la meilleure solution. Ses personnages sont trop excentriques pour être réels et pour passionner dans la durée. Tant que l'on n'avait affaire qu'à un ou deux héros atteints de folie douce, on arrivait à y adhérer sans problème. Ici c'est tout une brigade qui semble marcher sur la tête, entre celui qui ne s'exprime qu'en vers, l'alcoolique au savoir encyclopédique, le débutant aux réparties stupides mais à la mémoire hors normes... Sans parler de l'ensemble des personnages croisés, tous plus barrés les uns que les autres. Ce qui se traduit au final par une progression assez décousue (on ne comprend que dalle à ce que font les personnages mais c'est normal parce qu'ils sont fous) et une succession de dialogues totalement invraisemblables...

Pour finir, "Dans Les Bois Eternels" reste un bon roman, grâce à l'écriture de Fred Vargas qui est toujours aussi alerte. Mais son charme ne tient plus qu'à cela. Les recettes et les ficelles de l'univers de Vargas deviennent avec le temps de plus en plus apparentes et systématiques...

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