"Alias", archétype de la série moins débile qu'elle n'en a l'air... Bien avant de jouer avec "Cloverfield" la carte de la duplicité ultime entre spectacle frénétique et mise en abyme intello, JJ Abrams a créé avec cette saga un premier hybride fascinant, compression "à la César" de Mata-Hari, Indiana Jones, Freud, Tomb Raider et Françoise Dolto. Il m'a fallu une bonne saison avant de tomber dans les rets d'"Alias", avant de me passionner pour le destin de cette espionne à l'entourage sévèrement secoué, le temps de me familiariser avec cette atmosphère particulière, entre cartoon et psychodrame familial. Evidemment, lorsqu'on a suivi toutes les péripéties (j'ai bien dit "suivi" et non "compris" ou "retenu") des quatre premiers volets de la série, on en attend avec une certaine fébrilité le dénouement...
Cette dernière saison d'Alias est à elle seule un concentré de paradoxes : comment conclure de façon aussi digne que possible une série dont, justement, la fin est dictée par des chutes d'audience ? Comment continuer à captiver le spectateur quand l'argument principal du spectacle devient accessoire ? L'énorme, au sens propre, surprise du début de saison est en en effet de découvrir la grossesse de Sydney Bristow (et par là même celle de Jennifer Garner). Une situation qui n'est pas sans conséquence sur le déroulement des épisodes, un des ressorts principaux de la série étant de s'appuyer sur les diverses qualités de la demoiselle, qualités athlétiques pour les cascades, anatomiques pour les scènes à déguisements ou tenues hautement improbables. Qu'il est déstabilisant de voir cet être que l'on croyait invincible, cybernétique, ramené à la condition de simple humain par la plus commune des raisons. Sydney Bristow, jadis walkyrie virevoltante, traîne péniblement sa misère, le visage bouffi, l'air ailleurs, nage dans ses nippes de femme enceinte. Avoir échappé à ce que la Terre compte de tueurs sanguinaires et impitoyables pour se voir terrassée par son propre foetus : bordel, c'est quoi ce message ?!
Etrangement, pour la première fois peut-être depuis le début de la série, j'ai pris le temps de regarder la série avec plus de recul, d'analyser les expédients mis en oeuvre par des scénaristes et des producteurs que l'on devine marris. Introduction de nouveaux personnages, mise en place de nouveaux dispositifs narratifs (avec Sydney qui devient le mentor d'une nouvelle espionne débutante), recours encore accru à des coups de théâtre totalement démentiels : tout y passe. Déterminant sine qua non de la série, le quota "bombasses" reste atteint grâce à l'arrivée de personnages hautement photogéniques (la blonde Rachel Nichols, parfaite en oie blanche, Amy Acker, jolie vilaine et Elodie Bouchez, plus discutable en espionne chevronnée). L'honneur est sauf, mais cela ne suffit pas totalement à maintenir la tension sur le début de saison, qui pâtit énormément de la situation particulière de son héroïne, et qui pédale donc allègrement dans la semoule. Pour le reste, business as usual, on marche mais presque à contrecoeur (-"Ah mais attends, tu es une espionne tueuse mondialement recherchée" -"Oui mais en fait je veux t'aider car je suis gentille" -"Ah bon OK alors").
La seconde partie de la saison, beaucoup plus enlevée, est évidemment marquée par l'accouchement de Sydney Bristow, et par le retour aux affaires d'une Jennifer Garner encore empruntée, mais infiniment plus efficace et charismatique que ses faire-valoir. L'épisode qui marque ce grand retour est le meilleur de la saison, percutant, bien écrit, drôle et haletant. Les épisodes suivants gardent le rythme pour un finale surchargé, excessif mais assez stimulant.
Le spectacle culmine logiquement lors d'un ultime épisode qui symbolise à lui seul les qualités et les défauts de la série : une action frénétique et invraisemblable, jamais dénuée d'humour, et un scénario qui ne recule jamais devant une incohérence pour garantir la persistance du suspens et de la tension. En orchestrant le retour (et le destin) de tous les personnages majeurs de la saga, le dernier épisode brasse allègrement les thématiques principales sur lesquelles elle s'est construite, pour un résultat déconcertant.
Assez loin des standards définis par les saisons 2 et 3, largement les meilleures de la série, cette dernière saison clôt "Alias" sur un sentiment mi-figue mi-raisin : encore une fois, j'ai dévoré les épisodes les uns après les autres sans le moindre ennui... mais sans non plus sentir la profondeur de champ qui pouvait donner leur ampleur aux moments les plus marquants de la saga. L'essoufflement déjà sensible lors de la saison 4 devient plus incontestable, et la vérité ultime d'"Alias" se fait alors jour : c'était vraiment bien, mais il faut passer à autre chose maintenant...